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MAURIN DES MAURES

comme la mer au pied d’un îlot escarpé sans pouvoir troubler le repos de ses habitants.

— Pour venir me trouver ici, s’était dit le philosophe, il faudra vraiment qu’on ait besoin de moi, ou que l’on m’aime.

Et il habitait une maison simple, comme toutes celles du pays, sur des gradins qui, taillés dans la colline, dominent la place et portent, parmi les fleurs, des orangers et des grenadiers. Il avait même un bananier, objet constant de ses soins.

Il vivait là avec un chien borgne et une vieille gouvernante. Le médecin de Bormes venait tous les jours faire une partie d’échecs.

M. Rinal avait le don des langues.

C’était un hébraïsant remarquable, un orientaliste de premier ordre, quoique inconnu ; il avait lu le chef-d’œuvre de chaque littérature dans le texte original. Une ou deux langues cependant lui manquaient encore. — « Cela m’amusera à apprendre dans les deux dernières années de ma vie. » L’histoire de la Révolution française, les Évangiles, les fables de La Fontaine, le Livre des Morts des Egyptiens, Sakountala et les quatrains de Kheyam étaient ses livres préférés. Quand il en parlait, il faisait claquer sa langue comme un gourmet qui déguste un vieux vin. Ses héros favoris étaient Jeanne d’Arc, inexplicable prodige, Odette, Jésus… et Marat ! Il avait Charlotte Corday en exécration. « Elle ne parvint à entrer chez l’homme de bien, disait-il, qu’en lui faisant dire qu’elle avait un service à lui demander, au nom du peuple. C’est une coquine. Marat demandait beaucoup de têtes, il avait raison. Il ne faut espérer que dans le balai de la mort. La mort c’est la grande