Page:Aicard - Pierre Puget, 1873.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout à coup, il s’échauffe ; il sent cette matière
Obéir à ses doigts faits pour dompter la pierre ;
Il imagine, il veut ; et les bois assouplis
Deviennent la fleur frêle ou l’étoffe aux longs plis…

Et le voici sculptant, à son tour, ces galères
Qu’il fait lourdes d’un monde, et qui restent légères ;
Par groupes, sur leurs flancs dorés et radieux,
Sa main d’homme suspend tout un peuple de dieux,
Tritons qui, pour souffler dans les conques marines,
Gonflent leurs cous nerveux et leurs larges poitrines,
Syrènes aux seins nus qui nagent en chantant,
Chevaux marins cabrés dans le flot miroitant
Sous le trident royal de Neptune qui gronde,
Et là-haut, par dessus ce peuple fait pour l’onde,
Entre les fins balcons à l’arrière étagés,
Des déesses tendant de leurs bras allongés
Vers l’immense horizon, Chimères ou Victoires,
Leurs clairons d’or jetant des bruits qui sont des gloires !

Mais le marbre attendait le Puget à son tour ;
À ce travail de fête il ne donna qu’un jour,
Car c’est comme une fête, un triomphe de joie
De sentir sous sa main du chêne que l’on ploie,
Et plus tard, tout autour du navire royal,
De voir l’œuvre achevé, tout un monde idéal,
Corps plongés à demi dans l’onde qui murmure,
Suivre le beau vaisseau, d’une imposante allure.
Mais ce bois ouvragé, combien durera-t-il ?
Tout pour lui, l’eau, le vent, le feu, tout est péril ;
Et maintenant Puget, qui songe à la tempête,
Est plein d’ennuis, ainsi qu’un sage après la fête !