Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/136

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Les Indiens rampaient dans les hautes herbes comme des reptiles.

Le choc fut terrible ; ce ne fut plus une bataille, mais une boucherie, pied contre pied, poitrine contre poitrine, où les hommes se saisissaient à bras le corps, s’entre-tuaient à coups de poignard ou se déchiraient avec les ongles et les dents ; ceux qui tombaient ne se relevaient pas, les blessés étaient achevés aussitôt.

Cet affreux carnage dura un quart d’heure environ ; les deux tiers des Américains succombèrent ; le reste parvint à s’ouvrir passage et s’enfuit poursuivi de près par les Indiens, qui commencèrent alors une horrible chasse à l’homme.

Jamais, jusqu’à ce jour, les Peaux-Rouges n’avaient combattu les blancs avec autant d’acharnement et de ténacité, la présence au milieu d’eux du comte désarmé et souriant qui, bien que s’élançant au plus fort de la mêlée aux côtés de leur chef, semblait invulnérable, car les balles passaient près de lui sans l’atteindre, les électrisait, et ils croyaient bien réellement que Natah-Otann leur avait dit vrai, qu’il était bien ce Moctekuzoma qu’ils attendaient depuis si longtemps, et dont la présence allait enfin leur rendre pour toujours cette liberté que les blancs leur avaient ravie.

Aussi avaient-ils constamment les yeux fixés sur le jeune homme, le saluant de bruyants cris de joie, et redoublant d’efforts pour en finir avec leurs ennemis.

Natah-Otann se précipita vers le drapeau américain, l’enleva par la hampe, et l’agitant au-dessus de sa tête :

« Victoire ! victoire ! » cria-t-il avec joie !

Les Pieds-Noirs répondirent par des hurlements à ce cri et se répandirent de tous les côtés pour commencer le pillage.

Quelques hommes seulement étaient demeurés dans le fort.

Parmi eux se trouvait le major.

Le vieux soldat n’avait pas voulu survivre à sa défaite.

Les Indiens se précipitèrent vers lui avec de grands cris pour le massacrer.

Le vieillard demeura calme, il ne fit pas un geste pour se défendre.

« Arrêtez, s’écria le comte ; et se tournant vers Natah-Otann : Laisserez-vous de sang-froid assassiner ce brave soldat ? lui dit-il.

— Non, répondit le sachem, s’il consent à me rendre son épée.

— Jamais ! s’écria le vieillard avec énergie ; et par un geste sublime il brisa sur son genou son arme rougie jusqu’à la poignée, en jeta les morceaux aux pieds du chef, et, se croisant les bras, il lança un regard de souverain mépris à son vainqueur en lui disant : Tuez-moi, maintenant, je ne puis plus me défendre.