Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/137

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Ce ne fut plus une bataille, mais un massacre.

— Bien ! s’écria le comte, » et sans calculer la portée de son action, il s’élança vers le major et lui serra cordialement la main.

Natah-Otann considéra un instant les deux hommes avec une expression indéfinissable.

« Oh ! murmura-t-il à part lui avec douleur, nous aurons beau les battre, nous ne les vaincrons jamais ; ces hommes sont plus forts que nous, ils sont nés pour être nos maîtres. »

Puis étendant la main au-dessus de sa tête :

« Assez, dit-il d’une voix forte.

— Assez, répéta le comte, respectez les vaincus. »

Ce que n’aurait pu obtenir le sachem, malgré le respect que les Indiens avaient pour lui, le comte l’obtint instantanément ; grâce à la vénération superstitieuse qu’il leur inspirait, ils s’arrêtèrent et le carnage cessa enfin.

Les Américains furent désarmés en un clin d’œil, et les Peaux-Rouges demeurèrent maîtres du fort.

Natah-Otann prit alors son totem des mains du guerrier qui le portait, puis après l’avoir à plusieurs reprises élevé en l’air, il le planta à la place du drapeau américain aux applaudissements frénétiques de la foule, qui, enivrée de joie, n’osait encore croire à son triomphe.

Le Bison-Blanc n’avait pas perdu un instant pour s’assurer la paisible possession d’une conquête qui avait coûté tant de sang et d’efforts aux confédérés.

Lorsque les sachems eurent rétabli un peu d’ordre parmi leurs guerriers, que l’incendie qui menaçait le fort eut été éteint, enfin que toutes les précautions furent prises pour éviter un retour offensif des Américains, bien que cette hypothèse parût peu probable, Natah-Otann et le Bison-Blanc se retirèrent dans l’appartement qui précédemment servait au major ; le comte les y suivit.

« Enfin, s’écria le jeune chef avec joie, nous avons donc prouvé à ces fiers Américains qu’ils ne sont pas invincibles.

— Votre faiblesse faisait leur force, répondit le Bison-Blanc ; vous avez bien débuté, maintenant il faut continuer ; ce n’est pas tout de vaincre, il faut savoir profiter de la victoire.

— Pardonnez-moi de vous interrompre, messieurs, dit le comte, mais je crois que l’heure est venue de régler nos comptes.

— Que voulez-vous dire, monsieur ? demanda le Bison-Blanc avec hauteur.

— Je vais m’expliquer, monsieur, reprit le comte, et se tournant vers Natah-Otann : Vous me rendrez cette justice de convenir, dit-il, que j’ai tenu scrupuleusement la promesse que je vous avais faite et la parole que je vous avais donnée ; malgré la douleur et le dégoût que j’éprouvais, je n’ai pas failli une seule fois, toujours vous m’avez trouvé froid et impassible à vos côtés, est-ce vrai ? répondez, monsieur.

— C’est vrai, répondit froidement Natah-Otann.