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ne faut pas en vouloir à ce pauvre garçon, il a cru bien faire, et quant à moi, je trouve qu’il a eu raison. »

L’incident n’eut pas d’autre suite.

Pendant que se passait cette scène dans la cour du fort, John Bright, qui avait hâte de rassurer sa femme et sa fille, s’était mis à leur recherche ; mais il eut beau parcourir tous les appartements et toutes les dépendances du fort où il les avait cachées quelques instants auparavant, il lui fut impossible de les découvrir nulle part.

Le pauvre squatter revint le visage bouleversé et le désespoir dans l’âme, annoncer au major la disparition de sa femme et de sa fille, enlevés probablement par les Indiens.

Sans perdre de temps, le major donna l’ordre à une dizaine de chasseurs de se mettre à la recherche des deux femmes.

Mais à l’instant où la petite troupe allait partir à leur recherche, elles arrivèrent accompagnées de Balle-Franche et de deux chasseurs américains. Margaret et sa fille étaient avec elles.

Aussitôt que Fleur-de-Liane aperçut le comte, elle jeta un cri de joie et s’élança vers lui.

« Sauvé ! » s’écria-t-elle.

Mais tout à coup elle rougit, trembla, et alla toute honteuse se réfugier auprès de sa mère.

Le comte s’approcha, lui prit la main et la lui serrant avec tendresse :

« Fleur-de-Liane, lui dit-il doucement, est-ce que maintenant que je suis libre, vous ne m’aimez plus ? »

La jeune fille releva la tête, le regarda un instant avec des yeux pleins de larmes.

« Oh, toujours ! toujours ! répondit-elle.

— Vois, ma fille, dit mistress Bright à la pauvre Diana.

— Ma mère, fit-elle d’une voix ferme, ne vous ai-je pas dit que je l’oublierai ? »

La femme du squatter hocha la tête sans répondre.

Les Indiens avaient fui sans laisser de traces.

Quelques heures plus tard, tout avait repris dans le fort son train de vie ordinaire.

Le soir même de ce jour, John Bright, pressé par sa femme, avait dit adieu au comte et au major et était retourné dans son défrichement.

L’hiver s’écoula sans incident nouveau, la rude leçon donnée aux Indiens leur avait profité.

Fleur-de-Liane, reconnue par son oncle, était restée au fort Mackensie.

L’enfant était triste, rêveuse ; souvent elle passait de longue heures appuyée sur les parapets, les regards fixés sur les campagnes et les forêts qui commençaient à reprendre leur verte parure. Sa mère et le bon major, qui la chérissaient, ne comprenaient rien à la sombre mélancolie qui la rongeait. Quand on la pressait de questions pour savoir quel était son mal, elle répondait invariablement qu’elle n’avait rien.

Cependant un jour son visage s’éclaira et son joyeux sourire reparut.

Trois voyageurs arrivaient au fort. Ces trois voyageurs étaient le comte de Beaulieu, Balle-Franche et Ivon ; ils revenaient d’une longue excursion dans les montagnes Rocheuses.

Aussitôt arrivé, le comte s’approcha de la jeune fille, et, ainsi qu’il avait fait trois mois auparavant, il lui prit la main :

« Fleur-de-Liane, lui demanda-t-il encore une fois, est-ce que vous ne m’aimez plus ?

— Oh ! toujours, répondit doucement la pauvre enfant, devenue timide depuis qu’elle avait quitté la vie du désert.

— Merci, lui dit-il, et se tournant vers le major et sa sœur qui se regardaient avec anxiété, il ajouta, sans se dessaisir de la main qu’il tenait : Major Melvil, et vous, madame, je vous demande la main de mademoiselle. »

Huit jours plus tard le mariage fut célébré, le squatter et sa famille assistèrent à la bénédiction nuptiale, un mois auparavant Diana avait épousé James. Cependant lorsque le oui fut prononcé, elle ne put retenir un soupir.

« Vous voyez bien, Ivon, que l’on n’est jamais tué par les Indiens, en voilà la preuve, dit Balle-Franche au Breton ; en sortant de la cérémonie.

— Je commence à le croire, répondit celui-ci, mais c’est égal, mon ami, je ne pourrais jamais m’habituer à cet affreux pays, j’y ai trop peur !

— Farceur, va ! murmura le Canadien, il ne changera jamais ! »

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Maintenant, afin de satisfaire certains lecteurs curieux qui veulent tout savoir, nous ajouterons ceci en forme de parenthèse.

Quelques mois après le 9 thermidor, plusieurs conventionnels, malgré le rôle qu’ils avaient joué dans cette journée, n’en furent pas moins déportés à la Guyane-Française ; deux d’entre eux, Collot-d’Herbois et Billaud-Varenne parvinrent à s’échapper de Sinnamari, et s’enfoncèrent dans les déserts, où ils eurent à subir des souffrances horribles ; Collot-d’Herbois succomba, nous venons de raconter l’histoire de son compagnon.

FIN