Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est-à-dire huit dans un moment pressé, n’est-ce pas ?

— À peu près.

— Bien ; maintenant, si vous le voulez, je vais vous débarrasser de vos ennemis pour longtemps.

— By God ! s’écria-t-il joyeusement, je ne demande pas mieux. »

Tout à coup le cri de guerre des Peaux-Rouges se fit entendre de nouveau, mais cette fois plus strident et plus terrible que la première.

« Il est trop tard, s’écria l’inconnue avec douleur, les voici ! Il ne nous reste plus qu’à mourir bravement.

— Mourons donc, by God ! mais auparavant tuons le plus possible de ces païens, répondit John Bright. Allons, enfants, hourra pour l’uncle Sam[1] !

Hourra ! » s’écrièrent ses compagnons brandissant leurs armes.

Les Peaux-Rouges répondirent à ce cri de défi par des cris de rage.

Le combat recommença.

Mais cette fois il semblait devoir être plus sérieux.

Après s’être levés pour pousser leur formidable cri de guerre, les Indiens s’étaient disséminés dans la plaine par petits groupes de deux ou trois au plus, et s’avançaient lentement vers le camp en rampant sur le sol.

Lorsqu’ils trouvaient sur leur passage un tronc d’arbre ou un buisson capable de leur offrir un abri, ils s’arrêtaient soit pour décocher une flèche, soit pour envoyer une balle.

Cette nouvelle tactique adoptée par leurs ennemis déconcertait les Américains, dont les balles ne pouvaient plus que difficilement les atteindre, car malheureusement les Indiens étaient presque invisibles au milieu des ténèbres, et avec l’astuce qui les distingue, ils savaient si bien manœuvrer en agitant les herbes, que les émigrants trompés par eux ne savaient plus où viser.

« Nous sommes perdus ! s’écria John Bright avec découragement. — La position devient critique, en effet ; il ne faut pas cependant désespérer encore, répondit l’inconnue : il nous reste une chance, chance bien faible à la vérité, mais que j’emploierai lorsque le moment sera venu ; tâchons de résister au combat corps à corps.

— Hum ! voilà toujours un de ces démons qui n’ira pas plus loin. » fit l’émigrant en épaulant son rifle.

Un guerrier pied-noir dont la tête s’élevait en ce moment un peu au-dessus des herbes, eut le crâne fracassé par la balle de l’Américain.

Les Peaux-Rouges se dressèrent subitement et s’élancèrent en hurlant vers les barricades.

Les Américains les attendaient de pied ferme.

Une décharge à bout portant accueillit les Indiens.

Le combat s’engagea corps à corps.

Les Américains, debout au sommet de leurs retranchements et se servant de leurs rifles en guise de massue, assommaient ceux qui s’offraient à leurs coups.

Ce combat avait quelque chose de sinistre au milieu d’un silence interrompu seulement par les cris des blessés, car les Américains combattaient sans prononcer une parole.

Tout à coup, au moment où les émigrants, accablés par le nombre, faisaient malgré eux un pas en arrière, l’inconnue se précipita sur les barricades une torche à la main et en poussant un cri tellement sauvage que les combattants s’arrêtèrent en frémissant.

La flamme rougeâtre de la torche agitée par le vent, se reflétait sur le visage de l’inconnue et lui donnait une expression terrible ; elle avait la tête haute et le bras étendu en avant avec un geste de commandement suprême :

« Arrière ! s’écria-t-elle d’une voix stridente, arrière, démons ! »

À cette apparition extraordinaire, les Peaux-Rouges restèrent un moment immobiles, comme pétrifiés, puis soudain ils se précipitèrent pêle-mêle sur la rampe du monticule, s’enfuyant en proie à la plus grande terreur.

Les Américains, témoins intéressés de cette scène incompréhensible, poussèrent un soupir de bonheur : ils étaient sauvés !

Sauvés par un miracle !

Alors ils s’élancèrent vers leur libératrice pour lui exprimer leur reconnaissance.

Elle avait disparu !

En vain les Américains la cherchèrent-ils de tous côtés, ils ne purent savoir où elle avait passé : elle semblait être devenue subitement invisible.

La torche qu’elle tenait à la main en parlant aux Indiens gisait sur le sol, où elle fumait encore : c’était la seule trace qu’elle avait laissée de sa présence au camp des émigrants.

John Bright et ses compagnons se perdaient en conjectures sur son compte, tout en lavant et pansant tant bien que mal les blessures qu’ils avaient reçues dans le combat, lorsque la femme de l’émigrant et sa fille apparurent tout à coup au milieu du camp.

John Bright s’élança vers elles.

« Quelle imprudence ! s’écria-t-il, comment avez-vous quitté votre cachette malgré les recommandations qui vous avaient été faites ? »

Sa femme le regarda avec étonnement.

« Mais, répondit-elle, si nous sommes ici, c’est d’après l’avis que nous a donné la femme inconnue à laquelle nous avons eu tous tant d’obligations cette nuit.

— Comment ! s’écria John Bright, vous l’avez donc revue ?

— Oui, certes ; il y a quelques instants à peine elle est venue nous trouver dans la cachette où nous étions blotties à demi mortes de frayeur, car

  1. Les États-Unis de l’Amérique du Nord mettent sur les sacs de leurs soldats et en tête des proclamations ces deux lettres : U. S. (United States), que les Américains traduisent par uncle Sam : de là vient l’origine du sobriquet burlesque qu’ils se sont donné eux-mêmes.
    (Note de l’auteur.)