Pour la première fois, le vieux chasseur se trouvait à court ; il avait beau fouiller sa mémoire, afin de trouver dans sa vie, cependant si accidentée, une circonstance analogue à celle dans laquelle il se trouvait en ce moment, à son grand regret, il était forcé de convenir in petto que jamais il n’avait vu rien de pareil ; cela le chagrinait malgré lui, aussi venait-il d’un air tout maussade auprès du jeune homme.
Cependant ils avançaient toujours ; tout à coup, ils entendirent un grand bruit de chevaux à une distance assez rapprochée en avant d’eux, sur la sente qu’ils suivaient.
— Voilà Bon-Affût, dit don Miguel.
— C’est probable.
— Il sera bien étonné de me rencontrer venant au-devant du secours qu’il m’amène.
— Cela est certain.
— Pressons un peu le pas de nos chevaux.
Balle-Franche le regarda.
— Vous avez juré de vous donner une congestion cérébrale, n’est-ce pas ? lui dit-il nettement.
— Comment cela, répondit le jeune homme étonné.
— Pardieu ! cela est facile à prévoir, reprit le chasseur d’un ton bourru ; depuis une heure, vous faites folie sur folie, mais ne vous y trompez pas, caballero, ce que vous prenez pour de la force n’est que de la fièvre, c’est elle seule qui vous soutient, prenez-y garde, ne vous obstinez pas dans une lutte impossible, et dont, je vous en avertis, vous ne sortirez pas vainqueur. Je vous ai laissé agir à votre guise, parce que je ne voyais pas d’inconvénient à le faire jusqu’à présent ; mais, croyez-moi, en voilà assez, vous avez donné la mesure de vos forces, vous avez prouvé ce que vous pourriez dans une circonstance urgente ; c’est tout ce qu’il faut, maintenant arrêtons-nous et attendons.
— Merci, répondit don Miguel en lui serrant cordialement