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L’ÉCLAIREUR.

— Hum ! fit Balle-Franche en bourrant sa pipe, je rirai longtemps de ce tour, il est presque aussi bon que celui que j’ai joué aux Pawnies en 1827, sur le haut Arkansas ; j’étais bien jeune alors ; depuis quelques années à peine je parcourais la Prairie, et je n’étais pas, comme aujourd’hui, habitué aux diableries indiennes ; je me rappelle que…

— Mais par quel hasard vous rencontré-je ici, Balle-Franche ? lui demanda son ami en l’interrompant brusquement.

Bon-Affût savait que dès que Balle-Franche commençait une histoire, il n’y avait plus de raison pour qu’il s’arrêtât dans sa narration ; le digne homme, pendant le cours d’une vie longue et accidentée, avait vu et fait tant de choses extraordinaires, que le moindre événement qui lui arrivait, ou dont il était seulement le témoin, devenait immédiatement pour lui un prétexte pour un de ses interminables récits ; ses amis ; qui connaissaient sa faiblesse, ne se gênaient nullement pour l’interrompre ; du reste, nous devons rendre à Balle-Franche cette justice de dire qu’il ne se fâchait jamais contre les interrupteurs ; il est vrai que dix minutes après il recommençait une histoire qu’on avait soin d’interrompre comme la première, sans qu’il se fâchât davantage.

À la question de Bon-Affût, il répondit :

— Nous allons causer, et je vous conterai cela. Puis se tournant vers Domingo : Mon ami, lui dit-il, je vous remercie de l’aide que vous nous avez prêté ; retournez au camp, et n’oubliez pas votre promesse, surtout ne manquez pas de rapporter ce que vous avez vu, à la personne que vous savez.

— C’est convenu, vieux trappeur. Soyez tranquille. Adieu.

— Bonne chance.

Domingo jeta son rifle sur l’épaule, alluma sa pipe et se dirigea à grands pas du côté du camp qui, du reste, n’était pas fort éloigné et où il arriva une heure plus tard.