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Page:Aimard - La Fièvre d’or, 1860.djvu/155

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LA FIÈVRE D’OR.

il n’y a dans ce monde rien d’éternel, ni joie, ni douleur, ni plaisir ; mais revenons à ce que je te disais. S’il était permis à ton père de quitter le séjour des justes, où sans doute il repose, pour revenir quelques instants sur la terre, il te parlerait comme je le fais en ce moment ; il te demanderait compte de l’oisiveté inutile dans laquelle tu passes ta jeunesse, ne songeant pas plus à ton pays, que tu peux et dois servir, que si tu vivais au fond d’un désert. Est-ce donc pour te créer une existence semblable que ton père a fait tant de sacrifices ; dis-le moi, muchacho ?

Le digne capitaine, qui probablement n’avait jamais autant prêché de sa vie, s’arrêta attendant une réponse à la question qu’il venait d’adresser à son interlocuteur ; mais cette réponse ne vint pas. Le jeune homme, les bras croisés sur la poitrine, le corps rejeté en arrière, et le regard obstinément fixé devant lui, semblait plongé dans de profondes réflexions.

Le capitaine continua après une attente assez prolongée.

— Nous autres, dit-il, nous avons démoli ; c’est à vous autres, jeunes gens, de reconstruire. Nul, à l’époque où nous sommes, n’a le droit de priver la république de son concours ; chacun doit, sous peine de passer pour un mauvais citoyen, apporter sa pierre à l’édifice social, toi plus que tout autre, muchacho carai ! Toi, le fils de l’un des plus célèbres héros de la guerre de l’indépendance. La patrie t’appelle, elle te réclame, tu ne peux plus longtemps rester sourd à sa voix ! Que fais-tu ici, au milieu de tes chiens, de tes chevaux, éparpillant sans gloire