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Page:Aimard - La Fièvre d’or, 1860.djvu/156

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LA FIÈVRE D’OR.

et sans honnenr ton courage, gaspillant ton énergie sans profit pour personne et t’abrutissant chaque jour dans une solitude honteuse ? Cuerpo de Cristo ! je comprends qu’on aime son père, qu’on le pleure même, cela est d’un bon fils, et ton père mérite certes le souvenir sacré que tu conserves de lui ; mais que tu te fasses de cette douleur un prétexte pour caresser et satisfaire ton égoïsme, cela est pis qu’une mauvaise action, c’est une lâcheté !

À ce mot, un éclair fulgurant s’alluma dans l’œil fauve du jeune homme.

— Capitaine ! s’écria-t-il en frappant du poing sur la table.

Rayo de Dios ! reprit résolûment le vieux soldat, le mot est lâché, je ne le retire pas ; ton père, s’il m’entend, doit m’approuver au séjour qu’il habite. Maintenant, muchacho, j’ai dégonflé mon cœur, je t’ai parlé franchement et loyalement, ainsi que je devais le faire ; je me devais à moi-même de remplir ce pénible devoir envers toi. Si tu ne comprends pas le sentiment qui a dicté les rudes paroles que j’ai prononcées, tant pis pour toi, c’est que ton cœur est mort à tout élan généreux et que tu es incapable de sentir combien il faut que je t’aime pour avoir eu le courge de te parler ainsi. Maintenant, fais ce que bon te semblera, agis à ta guise, je n’aurai pas, du moins, à me reprocher de ne pas t’avoir fait entendre une fois la vérité. Il est tard, bonsoir, muchacho, je vais me coucher, car demain je pars de bonne heure. Réfléchis à ce que je t’ai dit ; la nuit est bonne conseillère lorsqu’on veut de bonne foi écouter les voix qui vous chuchotent à l’oreille pendant l’heure des ténèbres.