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LA FIÈVRE D’OR.

dro ni à Zapopam, car je présume que vous venez, ainsi que moi-même, de Guadalajara…

— En effet, interrompit l’inconnu, j’ai quitté la ville vers trois heures de l’après-midi.

— Je suppose, continua le colonel, que vous avez l’intention de vous arrêter au meson de San-Juan ; alors, si vous n’y trouvez pas d’inconvénient, nous ferons route ensemble jusque-là, car je compte terminer la nuit.

— Le meson de San-Juan est une bonne hôtellerie, reprit l’autre en portant la main avec respect à son chapeau, mais qu’irai-je y faire ? Je ne possède pas un ochavo à dépenser inutilement, et j’ai loin à aller ; je camperai sur la route, et pendant que mon cheval, pauvre bête ! mangera du bout des dents, moi, je fumerai des cigarettes et je me chanterai la romance du roi Rodrigue, qui, ainsi que vous le savez, commence ainsi.

Et ramenant vivement sa jarana devant lui, il entonna à pleine voix cette strophe du romancero du roi Rodrigue.

Cuando las pintadas aves
Mudas estan y la tierra
Atenta escucha los rio
Que al mar su tributo llevan ;
Al escaso resplandor.
[1]

— Hé ! s’écria le colonel en l’interrompant brusquement, quelle rage musicale vous possède ? c’est de la frénésie, cela.

— Non, répondit mélancoliquement le chanteur, c’est de la philosophie.

  1. Lorsque les oiseaux bigarrés sont muets, et que la terre attentive
    écoute les fleuves qui portent leur tribut à la mer, à la
    faible lueur…