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LA FIÈVRE D’OR.

La position devenait d’autant plus critique pour les aventuriers, que le silence le plus profond continuait à régner, que rien ne bougeait dans la plaine, qu’il n’apparaissait aucune silhouette indienne, et que pas le plus léger indice n’indiquait de quel côté viendrait ce danger que chacun sentait imminent.

Soudain Curumilla allongea le bras dans la direction du N.-N.-E., et après avoir laconiquement murmuré d’une voix étouffée :

— Ne pas bouger !

Il donna son rifle à tenir à Valentin, s’étendit sur le sol, et avant que ses amis eussent eu le temps de soupçonner la direction qu’il avait prise, il avait disparu dans l’ombre.

Les trois chasseurs échangèrent un regard muet, et armèrent silencieusement leurs rifles, afin d’être prêts à tout événement.

Il n’existe pas au monde de position plus pénible que celle de l’homme brave qui, dans un pays inconnu, par une nuit sombre, est contraint de se mettre en garde contre un danger dont il ne peut calculer la portée. En butte à des inquiétudes aggravées par la silencieuse majesté de la solitude, il se crée des chimères cent fois plus redoutables que le danger même, et sent son courage s’envoler par parcelles sous la dure pression de l’attente vaine qui le glace malgré lui.

Telle était la situation dans laquelle se trouvaient les trois hommes, et cependant c’étaient trois cœurs de lion, accoutumés de longue date à l’acharnement des luttes indiennes, et que nul péril, si terrible qu’il eût été, n’aurait eu la puissance d’émouvoir