Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/230

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était allé à Guaymas ; le Tigrero, en lui proposant de s’introduire en qualité de guide dans la colonie, lui avait fourni sans s’en douter le prétexte qu’il cherchait ; aussi, pendant le peu d’heures qu’il avait passées dans l’hacienda n’avait-il pas perdu son temps, et avec cette astuce particulière aux Indiens, avait-il reconnu dans les plus grands détails tous les points faibles de la place.

Une autre raison était venue encore éperonner son désir de s’emparer de l’hacienda : de même que tous les Peaux-Rouges, son rêve était d’avoir dans sa hutte une femme blanche ; la fatalité, en jetant sur sa route doña Anita, avait subitement ravivé l’espoir secret qu’il caressait, et lui avait fait supposer qu’il posséderait enfin la femme qu’il cherchait depuis si longtemps sans la pouvoir rencontrer.

Que l’on ne croie pas que l’Ours-Noir aimait doña Anita ; non, il voulait une femme blanche, voilà tout : il était humilié de savoir que les autres chefs de sa nation avaient des esclaves de cette couleur, tandis que lui seul n’en avait pas. Doña Anita eût été laide, il aurait de même essayé de s’en emparer ; elle était belle, tant mieux ; et encore nous ajouterons que le chef apache ne la trouvait pas belle : au point de vue de ses idées indiennes, la jeune femme était tout au plus passable ; la seule chose qu’il prisait en elle, c’était sa couleur.

L’Ours-Noir, placé avec ses principaux guerriers sur la pointe de l’île, demeura silencieux, les bras croisés sur la poitrine, les yeux fixés dans l’espace jusqu’au moment où les premières lueurs de l’incendie allumé par le Moqueur colorèrent l’horizon de reflets sanglants.