Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/355

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— Ma pensée, la voilà, don Sylva : tant que nous n’avons fait qu’errer dans les prairies, au risque d’être dévorés par les bêtes fauves, j’ai courbé la tête, sans chercher à m’opposer à vos desseins, parce que je reconnaissais tacitement que vous agissiez, ainsi que vous deviez le faire ; aujourd’hui même, si vous et moi étions seuls, je m’inclinerais sans murmurer devant la ferme résolution qui vous anime. Mais réfléchissez que vous avez avec vous votre fille, que vous la condamnez à subir des tortures sans nom dans le désert affreux où vous la contraignez à vous suivre, et qui probablement vous dévorera tous deux.

Don Sylva ne répondit pas.

Le Tigrero continua :

— Notre troupe est faible ; à peine avons-nous pour quelques jours de vivres, et, vous le savez, une fois dans le del Norte, plus d’eau, plus de gibier. Si pendant notre excursion nous sommes assaillis par un temporal, nous sommes perdus, perdus sans ressources, sans espoir !

— Tout ce que vous me dites est juste, je le sais ; je ne puis cependant suivre vos conseils. Écoutez-moi à votre tour, don Martial : le comte de Lhorailles est mon ami, bientôt il sera mon gendre ; je ne dis pas cela pour vous chagriner, mais seulement afin que vous compreniez bien ma position vis-à-vis de lui. C’est à cause de moi, afin de me sauver des mains de ceux qu’il croit m’avoir enlevé ainsi que ma fille, que, sans calcul, sans hésitation, poussé seulement par la noblesse de son cœur, il est entré dans le désert ; puis-je le laisser périr sans chercher à lui porter secours ? N’est-il pas étranger au