Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/70

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pliant avec une adresse inouïe aux exigences du progrès qui menaçait de les dépasser ; ils avaient changé de peau : de tigres, ils s’étaient faits renards. Les Frères de la Côte étaient devenus les Dauph’yeers ; au lieu d’aller hardiment, comme jadis, sauter, la dague et la hache au poing, à l’abordage des navires ennemis, ils se firent petits et creusèrent des mines souterraines ; aujourd’hui les Dauph’yeers sont les maîtres et les rois du Nouveau-Monde ; ils ne sont nulle part et sont partout ; ils règnent ; leur influence se fait sentir dans tous les rangs de la société ; à tous les degrés de l’échelle on les trouve sans les voir jamais. Ce sont eux qui ont détaché les États-Unis de l’Angleterre, le Pérou, le Chili et le Mexique de l’Espagne. Leur pouvoir est immense, d’autant plus immense qu’il est occulte, ignoré et presque nié, ce qui montre leur force. Être niée, pour une société secrète, voilà où est la véritable puissance ; il ne se fait pas une révolution en Amérique, sans que l’influence des Dauph’yeers ne se produise victorieuse et fière, soit pour la faire triompher, soit pour l’annihiler. Ils peuvent tout, ils sont tout ; hors de leur cercle, rien n’est possible : voilà ce que, par la force du progrès, sont en moins de deux siècles devenus les Frères de la Côte, les Dauph’yeers !… c’est-à-dire le pivot autour duquel tourne, sans s’en douter, le Nouveau-Monde. Misérable sort que celui de cette magnifique contrée d’être condamnée en tout temps, depuis sa découverte, à subir la tyrannie des bandits de toute espèce qui semblent s’être donné la mission de l’exploiter sous toutes les formes, sans que jamais elle puisse parvenir à s’en affranchir !