Page:Aimard - La Loi de Lynch, 1859.djvu/135

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sionnaire en profita pour se rendre auprès de sa famille qu’il n’espérait plus revoir et par laquelle il fut reçu avec des transports de joie d’autant plus grands, qu’elle non plus ne comptait pas sur son retour.

C’est que c’est une rude vie que celle de missionnaire ; ceux-là qui les ont vus à l’œuvre, dans le grand désert américain, peuvent seuls apprécier ce qu’il y a de sainte abnégation et de vrai courage dans le cœur de ces hommes si simples et si réellement bons, qui sacrifient leur vie, sans espoir de récompense possible, pour prêcher les Indiens. Presque toujours ils tombent, dans un coin ignoré de la prairie, victimes de leur dévouement ; ou bien, s’ils résistent pendant cinq ou six ans, ils reviennent dans leur patrie vieux avant l’âge, impotents, presque aveugles, accablés d’infirmités, contraints de traîner une vie misérable au milieu d’hommes qui les méconnaissent et le plus souvent les calomnient.

Le temps du père Séraphin était compté ; toutes les heures qu’il passait loin de ses chers Indiens, il se les reprochait comme un vol qu’il leur faisait. Il s’arracha des bras de ses parents et se hâta de retourner au Havre, afin de profiter de la première occasion qui se présenterait de s’embarquer pour le Texas.

Un soir qu’assis sur la plage, le père Séraphin contemplait la mer qui le séparait du but de sa vie, et songeait aux prosélytes qu’il avait laissés en Amérique et que, privés de sa présence, il tremblait de retrouver plongés dans leurs anciennes erreurs, il entendit auprès de lui des gémissements. Il leva la tête et vit à quelques pas une femme qui, agenouillée sur le sable, pleurait ; de temps en temps des mots entre-