Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme toutes les huttes araucaniennes, celle-ci était un vaste bâtiment en bois recouvert de boue blanchie à la chaux, ayant la forme d’un carré long, dont le toit était en terrasse.

Cette demeure simple, aérée, était à l’intérieur d’une propreté toute hollandaise.

Tangoil Lanec, on le sait, était un des chefs les plus respectés et les plus riches de sa tribu, il avait huit femmes.

Chez les Moluchos, la polygamie est admise.

Lorsqu’un Indien désire épouser une femme, il se déclare aux parents et fixe le nombre d’animaux qu’il veut leur donner ; ses conditions acceptées, il vient avec quelques amis, enlève la jeune fille, la jette en croupe derrière lui et reste pendant trois jours caché au fond des bois.

Le quatrième jour il revient, égorge une jument devant la hutte du père de sa fiancée, et les fêtes du mariage commencent.

Le rapt et le sacrifice de la jument tiennent lieu d’acte civil.

De cette façon, un Aucas est libre d’épouser autant de femmes qu’il en peut nourrir.

Pourtant, la première femme qui porte le titre de unem domo, ou femme légitime, est la plus honorée ; elle a la direction du ménage et la haute main sur les autres, qui sont appelées inam domo, ou femmes secondaires.

Toutes habitent le toldo de leur mari, mais dans des chambres séparées, où elles s’occupent à élever leurs enfants, à tisser des ponchos avec la laine des guanaccos et des chilihueques, et à préparer le plat que chaque jour une femme indienne est tenue de servir à dîner à son mari.

Le mariage est sacré, l’adultère est le plus grand des crimes ; la femme et l’homme qui le commettraient seraient infailliblement assassinés par le mari et ses parents, à moins qu’ils ne rachetassent leur vie au moyen d’une contribution imposée par l’époux outragé.

Lorsqu’un Aucas s’absente, il confie ses femmes à ses parents ; si, à son retour, il peut prouver qu’elles lui ont été infidèles, il a le droit d’exiger d’eux ce qu’il veut, aussi ont-ils intérêt à les surveiller.

Du reste, cette sévérité de mœurs ne regarde que les femmes mariées, les autres jouissent de la plus grande liberté et en profitent sans que personne y trouve à redire.

Les deux Français, jetés au milieu de ces mœurs étranges, ne comprenaient rien à cette existence indienne.

Valentin, surtout, était complètement désorienté, il était dans un étonnement perpétuel, qu’il se gardait bien de laisser percer soit dans ses discours, soit dans ses actions ; l’aventure du machi l’avait placé si haut dans l’estime des habitants de la tolderia, qu’il craignait avec raison que la moindre question indiscrète ne le renversât du piédestal sur lequel il se tenait en équilibre.

Un soir que Louis se préparait, ainsi qu’il en avait pris l’habitude, à parcourir les toldos afin de visiter les malades et de les soulager autant que ses connaissances bornées en médecine le lui permettaient, Curumilla se présenta aux deux étrangers pour les inviter à assister au cahuin donné par le nouveau machi, élu dans la journée à la place du mort.