Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/155

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— C’est juste, fit le général en baissant la tête en signe d’assentiment, il sera fait ainsi que le désire mon frère.

Antinahuel sourit avec orgueil.

— Ai-je bien parlé, hommes puissants ? dit-il en regardant les Ulmènes qui l’entouraient.

— Notre père, le toqui de l’Inapiré-Mapus, a bien parlé, répondirent les Ulmènes.

Les peones indiens allèrent alors prendre dans la chapelle, sur le sol de laquelle elle était étendue, une croix longue de trente pieds au moins, qu’ils apportèrent à l’endroit où les conférences avaient eu lieu.

Tous les chefs et les officiers chiliens se rangèrent autour ; à une distance respectueuse les troupes formèrent un vaste cercle.

Après une pause d’un instant, dont le prêtre profita pour bénir la croix en un tour de main, avec cette vivacité et cette désinvolture qui distinguent le clergé espagnol en Amérique, elle fut plantée en terre.

Au moment où on allait recouvrir sa base, Antinahuel s’interposa.

— Arrêtez, dit-il aux Indiens armés de bêches, et se tournant vers le général : la paix est bien assurée entre nous, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il.

— Oui, répondit le général.

— Toutes nos paroles sont enterrées sous cette croix ?

— Toutes.

— Recouvrez-la donc de terre alors, commanda-t-il aux peones, de peur qu’elles ne s’échappent et que la guerre ne s’allume entre nous.

Puis, lorsque cette cérémonie fut accomplie, Antinahuel fit apporter un jeune agneau que le machi égorgea auprès de la croix.

Tous les chefs indiens trempèrent leurs mains dans le sang encore chaud de l’animal palpitant, et bariolèrent la croix de signes hiéroglyphiques destinés à éloigner Guécubu, le mauvais génie, et empêcher les paroles de sortir de l’endroit où elles étaient enfouies.

Enfin, les Araucans et les Chiliens déchargèrent en l’air leurs armes à feu et la cérémonie fut terminée.

Alors le général Bustamente s’approcha du toqui de l’Inapiré-Mapus et passa son bras sous le sien, en lui disant d’une voix amicale :

— Mon frère Antinahuel ne veut-il pas venir un instant dans ma tente, goûter un verre d’aguardiente de pisco et prendre le maté ? il rendrait un ami heureux.

— Pourquoi ne le ferais-je pas ? répondit le chef en souriant d’un ton de bonne humeur.

— Que mon frère m’accompagne !

— Allons.

Tous deux s’éloignèrent en causant entre eux de choses indifférentes, se dirigeant vers la tente du général, qui avait été dressée à une portée de fusil de l’endroit où la cérémonie s’était accomplie.

Le général avait donné ses ordres d’avance, aussi tout était-il disposé pour recevoir magnifiquement l’hôte qu’il amenait, et auquel, pour la réussite de ses projets, il croyait avoir un si grand intérêt de plaire.