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XXIX

L’ENLÈVEMENT


Pendant que s’accomplissait entre les Araucans et les Chiliens la cérémonie que nous venons de décrire, un événement terrible se passait non loin de là ; Les trois partis qui se partageaient le Chili, et prétendaient y commander, avaient, comme d’un commun accord, choisi le jour du renouvellement des traités pour lever le masque et donner à leurs affidés le signal de la révolte.

Don Tadeo, le Roi des ténèbres, qui craignait tout de dona Maria et des espions du général, avait consenti, bien qu’à regret, à ce que dona Rosario l’accompagnât dans la plaine pour assister à la cérémonie ; il lui avait fait quitter le couvent des Ursulines et avait amené la jeune fille avec lui, intérieurement charmé d’un autre côté qu’elle ne se trouvât pas à Valdivia pendant les événements graves qui s’y préparaient.

Dona Rosario n’avait consulté que son amour dans la demande qu’elle avait adressée à son tuteur ; le désir seul de voir quelques heures à la dérobée celui qui l’aimait, avait dicté sa conduite dans cette circonstance.

Don Tadeo, qui d’aucune façon n’aurait pu assister à la cérémonie puisqu’il était contraint de se cacher, avait pris à part les deux Français, dès que son camp avait été dressé.

Il était alors environ sept heures du matin, la foule commençait à affluer dans la plaine.

Le Roi des ténèbres jeta un regard soupçonneux aux environs, mais rassuré par la solitude complète qui régnait autour de lui, il se décida enfin à expliquer aux jeunes gens, étonnés de cette étrange manœuvre, ce que sa conduite avait d’insolite et de bizarre en apparence.

— Caballeros, leur dit-il, depuis que j’ai l’honneur de vous connaître, je ne vous ai jamais rien caché, vous savez tous mes secrets : aujourd’hui doit se décider la question de vie ou de mort à laquelle, depuis que j’existe, j’ai voué toutes les forces actives de mon âme. Je pars à l’instant, je retourne à Valdivia : c’est dans cette ville que le premier coup sera porté dans quelques heures au tyran, la lutte qui va s’engager sera terrible. Je n’ai pas voulu y exposer la jeune fille que vous connaissez et à laquelle déjà vous avez sauvé la vie, je la confie à l’un de vous, l’autre m’accompagnera jusqu’à la ville ; s’il m’arrivait malheur dans ce combat, je lui remettrais un papier qui vous apprendrait à tous deux quelles sont mes intentions et ce que vous devez faire de cette pauvre enfant, qui est mon bien le plus cher et dont je ne me sépare qu’avec une immense douleur. Lequel de vous, messieurs, consent à se charger pendant le temps de mon absence de la garde de dona Rosario ?