Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/158

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— Louis, à bientôt, dit Valentin en serrant la main du jeune homme, et se penchant à son oreille, il ajouta : Rends grâce à Dieu, tu le vois, il protège ton amour.

Le jeune homme ne répondit que par un soupir et un hochement de tête découragé.

Un péon avait amené les chevaux des deux Chiliens et du Français : tous trois se mirent en selle.

Les trois cavaliers enfoncèrent les éperons dans le ventre de leurs montures, et disparurent bientôt dans les hautes herbes et les méandres de la route.

Louis retourna au camp tout pensif.

Il était seul avec dona Rosario.

Les deux chefs indiens, entraînés par la curiosité, s’étaient éloignés dans la direction de la chapelle, mêlés à la foule, à la cérémonie.

Les arrieros et les peones n’avaient pas tardé à les suivre.

La jeune fille s’était assise rêveuse sur un monceau de pellones, — peaux de moutons teintes, — devant la tente, et regardait sans les voir les nuages qui, chassés par une forte brise, couraient avec une grande vitesse dans l’espace.

Dona Rosario était une charmante enfant de seize ans à peine, petite, frêle et délicate, mignonne dans toute sa personne, et dont les moindres gestes et les moindres mouvements avaient un attrait indéfinissable.

Beauté rare en Amérique, elle était blonde ; sa chevelure, longue et soyeuse, avait la couleur des épis mûrs, ses yeux bleus, où se reflétait l’azur du ciel, avaient cette expression mélancoliquement rêveuse qui n’appartient qu’aux anges et aux jeunes filles qui commencent à aimer ; son nez un peu aquilin, aux ailes roses, sa bouche un peu sérieuse, aux lèvres rouges, garnie de dents d’une blancheur éclatante, sa peau nacrée, d’une finesse extrême, achevaient d’en faire une délicieuse créature.

Le bruit des pas du jeune homme qui s’approchait l’arracha à sa rêverie ; elle tourna la tête de son côté et lui lança un regard empreint d’une ineffable tristesse, tandis qu’un faible sourire se jouait sur ses lèvres.

Le comte s’inclina respectueusement devant elle.

— C’est moi, lui dit-il, d’une voix basse et inarticulée.

— Je savais votre arrivée, répondit-elle d’une voix harmonieusement modulée, oh ! pourquoi êtes-vous revenu ?

— N’en m’en veuillez pas d’être près de vous de nouveau, j’ai voulu vous obéir, je suis parti, sans espoir, hélas ! de vous revoir jamais ; le destin en a décidé autrement.

Elle lui lança un long regard.

— Malheureusement, continua-t-il avec un sourire triste, vous êtes pour quelques heures condamnée à souffrir ma présence.

— Je m’y résigne, dit-elle en lui tendant la main avec abandon.

Le jeune homme déposa un baiser brûlant sur la main moite et veloutée de la charmante enfant.

— Ainsi, nous voilà seuls, dit-elle avec enjouement, en retirant sa main.

— Mon Dieu, oui, à peu près, répondit-il en se prêtant à son humeur ; les