Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

téméraire ; il poussa toujours en avant, et, après des efforts gigantesques, il parvint enfin à sortir de la ville.

Dès qu’il fut en sûreté, la surexcitation fébrile qui, jusque-là, l’avait soutenu, tomba subitement, et à quelques pas des portes, il fut contraint de s’arrêter pour reprendre haleine et remettre un peu d’ordre dans ses idées bouleversées.

Le vieux soldat lava les flancs et les naseaux de son cheval avec un peu d’eau et d’eau-de-vie, puis, aussitôt ce devoir rempli, comprenant que le sort de ses compagnons dépendait de la célérité avec laquelle il remplirait sa mission, d’un bond il se remit en selle et partit avec la rapidité d’une flèche.

Le général n’avait pas hésité à retourner à Valdivia.

Il sentait trop bien l’avantage énorme qu’il retirerait d’un succès, et l’échec irréparable qu’il recevrait s’il était battu.

Vainqueur, sa route jusqu’à Santiago ne serait plus qu’une marche triomphale : les autorités des villes qu’il traverserait viendraient à l’envi les unes des autres se ranger sous son drapeau, au lieu que, contraint d’abandonner Valdivia en fugitif, il se verrait traqué comme une bête fauve et forcé de chercher son salut dans une prompte fuite, soit en Bolivie, soit à Buenos-Ayres, et ses projets qu’il nourrissait depuis si longtemps dont il croyait avoir de longue main assuré le succès, se trouveraient ajournés et peut-être détruits pour toujours.

Aussi le général était-il en proie à une de ces rages froides, d’autant plus terribles qu’elles ne peuvent s’exhaler au dehors.

Les cavaliers s’avançaient au milieu d’un nuage de poussière soulevé par leur course précipitée, roulant comme un tourbillon sur la route avec le bruit du tonnerre.

À deux longueurs de lance, en avant des soldats, don Pancho, courbé sur le cou de son cheval, le front pâle et les dents serrées, galopait à fond de train, l’œil fixé sur les hauts clochers de Valdivia, dont les silhouettes sombres grandissaient de plus en plus à l’horizon.

A un demi-mille de la ville le général arrêta sa troupe.

Le bruit sec et sifflant de la fusillade résonnait avec force, par intervalles le grondement sourd du canon y mêlait sa lugubre basse.

La bataille continuait toujours.

Le général se hâta de faire ses derniers préparatifs avant de tenter un effort suprême.

Les fantassins mirent pied à terre et se formèrent en pelotons.

Les armes furent chargées.

Les troupes amenées par le général, à notre point de vue européen, où l’on est habitué à voir se choquer des grandes masses, n’étaient pas nombreuses ; elles se composaient au plus de huit cents hommes.

Nous disons, nous autres, que la victoire reste aux plus gros bataillons ; en Amérique, où les armées les plus considérables ne sont souvent que de trois mille hommes, ce mot se modifie tout naturellement, et ce n’est ordinairement que le plus adroit ou le plus hardi qui reste maître du champ de bataille.

Don Pancho Bustamente était un rude soldat, habitué aux luttes des