Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/187

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Électrisés par l'action héroïque du Roi des ténèbres, les patriotes combattaient avec un acharnement Inouï.

Les Cœurs Sombres semblaient avoir le don d’ubiquité ; ils se multipliaient, partout ils se trouvaient à la tête des insurgés, les excitant du geste, de la voix et surtout leur donnant l’exemple.

La ville était complètement coupée de barricades, contre lesquelles le peu de troupes restées fidèles au général Bustamente, luttaient en vain.

Écrasés par les ennemis qui, de toutes parts, surgissaient contre eux, aux cris mille fois répété de : « — Vive la Patrie ! vive le Chili ! vive la Liberté ! » les soldats reculaient pas à pas, abandonnant les uns après les autres les différents postes, dont, au commencement de l’action, ils s’étaient emparés, et ils se massaient sur la place Mayor dont, à leur tour, ils avaient, eux aussi, barricadé les issues.

La ville était au pouvoir des insurgés ; la bataille désormais concentrée sur un point, il n’était plus difficile de prévoir à qui resterait la victoire, car les soldats découragés par le mauvais succès de leur coup de main, et comprenant qu’ils s’étaient faits les champions d’une cause perdue, ne combattaient plus que pour obtenir des conditions honorables.

Les officiers du général Bustamente et les sénateurs qu’il avait achetés pour en faire ses partisans, tremblaient en songeant au sort qui les menaçait s’ils tombaient aux mains de leurs ennemis ;le succès justifie tout : dès qu’ils n’avaient pas réussi, ils étaient traîtres à la patrie, et, comme tels, ils n’avaient aucun droit à une capitulation ; aussi excitaient-ils leurs soldats à lutter vaillamment, en leur annonçant un prompt secours, et tâchaient de leur rendre le courage en leur disant que leurs adversaires n’étaient que des bourgeois dont ils auraient facilement raison s’ils voulaient prendre hardiment l’initiative ou seulement résister une heure encore.

Le général qui commandait la garnison, et que nous avons vu avec tant d’arrogance lire sur les marches du cabildo le sénatus-consulte qui changeait la forme du gouvernement, se mordait les lèvres avec rage et faisait des prodiges de valeur poux donner à don Pancho Bustamente le temps d’arriver ; dès qu’il avait vu la tournure que prenaient les choses, il lui avait en toute hâte expédié un exprès.

Cet exprès était don Diego, ce vieux soldat dévoué au général Bustamente.

— Lieutenant ! lui avait-il dit en terminant, vous voyez dans quelle position nous sommes, il faut que vous arriviez coûte que coûte.

— J’arriverai, général, soyez tranquille,répondit intrépidement don Diego.

— Moi je tâcherai de tenir jusqu’à votre retour.

Don Diego s’était alors précipité tête baissée au milieu des rangs les plus pressés des insurgés, poussant son cheval en avant et faisant tourner avec une rapidité extrême son sabre autour de sa tête. Les Cœurs Sombres, étonnés de cette attaque terrible d’un seul homme, s’étaient dans le premier moment, ouverts devant lui comme une grenade trop mûre, incapable de résister au choc impétueux de ce démon qui semblait invulnérable, et qui, à chaque coup, les fauchait impitoyablement.

Diego profita habilement du désordre jeté dans leurs rangs par son élan