Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/210

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Il souleva la tête inerte du jeune homme, défit sa cravate et découvrit sa poitrine ; alors il aperçut les deux plaies béantes.

— C’est une vengeance, murmura-t-il.

Curumilla hocha la tête avec découragement.

— Que faire ? dit-il.

— Essayons, j’espère qu’il n’est pas mort.

Alors, avec une adresse infinie et une célérité incroyable, les deux chefs indiens prodiguèrent au blessé les soins les plus intelligents et les plus affectueux.

Longtemps tout fut inutile.

Enfin, un soupir faible comme un souffle s’exhala péniblement de la poitrine oppressée du jeune homme ; une légère rougeur colora les pommettes de ses joues, et, à plusieurs reprises, il entr’ouvrit les yeux.

Curumilla, après avoir lavé les plaies avec de l’eau fraîche, avait appliqué dessus un cataplasme de feuilles d’oregano pilées.

— La perte de sang l’a seule fait tomber dans cette syncope, dit-il, ses blessures sont larges, mais peu profondes, et nullement dangereuses.

— Mais que s’est-il donc passé ici ? fit Trangoil Lanec.

— Écoutez ! dit Curumilla en lui posant la main sur le bras, il parle.

En effet, les lèvres du jeune homme s’agitaient silencieusement ; enfin il prononça avec effort, d’une voix si basse que les deux Indiens l’entendirent à peine, ce seul mot qui pour lui résumait tout :

— Rosario !

Et il retomba.

— Ah ! s’écria Curumilla comme éclairé d’une lueur subite, où donc est la jeune vierge pâle ?

Et d’un bond il s’élança dans la tente.

— Je comprends tout, maintenant, dit-il en revenant auprès de son ami.

Les Indiens soulevèrent doucement le blessé dans leurs bras, et le transportèrent dans la tente où ils l’étendirent dans le hancas vide de doña Rosario.

Louis avait repris connaissance, mais presque aussitôt il était tombé dans un assoupissement profond.

Après l’avoir installé le plus commodément possible, les Indiens quittèrent la tente et commencèrent, avec l’instinct particulier à leur race, à chercher sur le sol des indices qu’ils ne pouvaient demander à personne, mais qui leur apprendraient les traces qu’ils sauraient découvrir.

Maintenant que le meurtre et l’enlèvement avaient eu lieu, il fallait pouvoir se mettre sur la piste des ravisseurs pour essayer, si cela était possible, de sauver la jeune fille.

Après de minutieuses recherches qui ne durèrent pas moins de deux heures, les Indiens revinrent se placer devant la tente, ils s’assirent en face l’un de l’autre, et fumèrent quelques instants en silence.

Les peones et les arrieros étaient revenus de la cérémonie ; en apprenant ce qui s’était passé pendant leur absence, ils avaient été épouvantés.

Les pauvres gens ne savaient quel parti prendre, ils tremblaient en son-