Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geant à la responsabilité qui pesait sur eux, et au compte terrible que leur demanderait don Tadeo.

Cependant, après que les deux chefs eurent fumé pendant quelques minutes, ils éteignirent leurs pipes et Trangoil Lanec prit la parole.

— Mon frère est un chef sage, fit-il, qu’il dise ce qu’il a vu ?

— Je parlerai puisque mon frère le désire, répondit Curumilla en s’inclinant, la vierge pâle aux yeux d’azur a été enlevée par cinq cavaliers.

Trangoil Lanec fit un geste d’assentiment.

— Ces cinq cavaliers venaient de l’autre côté de la rivière, leurs pas sont fortement empreints sur le sol qu’ils ont mouillé aux endroits où les chevaux ont posé leurs sabots humides, quatre de ces cavaliers sont des huiliches, le cinquième est un visage pâle ; arrivés à l’entrée du camp, ils se sont arrêtés, ont discuté un instant, et quatre ont mis pied à terre, la trace de leurs pas est visible.

— Bon ! fit Trangoil Lanec, mon frère a les yeux d’un guanacco, rien ne lui échappe.

— Des quatre cavaliers qui ont mis pied à terre, trois sont Indiens, ce qui est facile à reconnaître par l’empreinte de leurs pieds nus, dont le pouce, habitué à maintenir l’étrier, est très écarté des autres doigts, le quatrième est un muruche, la molette de ses éperons a laissé des traces profondes partout ; les trois premiers se sont glissés en rampant jusqu’à don Luis, qui causait à l’entrée de la tente avec la jeune vierge aux yeux d’azur, et par conséquent tournait le dos à ceux qui venaient vers lui ; il a été assailli à l’improviste et est tombé sans avoir le temps de se défendre, alors le quatrième cavalier a bondi comme un puma, il a saisi la jeune fille dans ses bras, et après avoir une seconde fois sauté par-dessus le corps de don Luis, il est allé retrouver son cheval, suivi par les trois Indiens ; mais don Luis s’est relevé d’abord sur les genoux, ensuite il est parvenu à se mettre debout, il a alors fait feu de ses pistolets sur un des ravisseurs, celui-ci est tombé mort ; c’est le visage pâle, une mare de sang marque la place de sa chute, et dans son agonie il a arraché les herbes avec ses mains crispées ; alors ses compagnons sont descendus de cheval, l’ont ramassé et ont fui avec lui ; don Luis, après avoir déchargé ses armes, a eu un éblouissement et il est retombé ; voilà ce que je sais.

— Bon, répondit Trangoil Lanec, mon frère sait tout ; après avoir relevé le corps de leur camarade, les ravisseurs ont retraversé la rivière et ils ont pris immédiatemant la direction des montagnes ; maintenant que fera mon frère ?

— Trangoil Lanec est un chef expérimenté, il attendra don Valentin ; Curumilla est jeune, il se mettra sur la piste des ravisseurs.

— Mon frère a bien parlé, il est sage et prudent, il les trouvera.

— Oui, Curumilla les trouvera, fit laconiquement le chef.

Après avoir dit ces paroles, il se leva, sella son cheval et sortit du camp ; Trangoil Lanec le perdit bientôt de vue.

Alors il revint près du blessé.

La journée se passa ainsi.