Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/221

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des visages pâles la branche de cannelier, symbole de la paix, les cannes des Apo-Ulmènes n’ont pas été liées en faisceaux avec l’épée du chef huinca, le serment et les discours ont été prononcés sur la croix de visages pâles et non pas sur le faisceau, comme la loi l’exige ; donc, je le répète, le Huinca-coyog est nul, ce n’est plus qu’une cérémonie vaine et dérisoire, à laquelle nous ne devons attacher aucune importance ! Ai-je bien parlé, hommes puissants ?

— Oui ! s’écrièrent les chefs en brandissant leurs armes, le Huinca-coyog est nul !

Antinahuel fit alors quelques pas dans le cercle, la tête penchée en avant, les regards fixés dans l’espace, les bras étendus comme s’il entendait et voyait des choses que lui seul pouvait voir et entendre.

— Silence ! s’écria le Cerf Noir en le désignant du doigt, le grand toqui correspond avec son amey mag’hon.

Les chefs firent un mouvement d’effroi en regardant le toqui.

Un silence solennel régna dans l’assemblée.

Lui ne bougea pas.

Le Cerf Noir s’approcha doucement, et se penchant à son oreille :

— Que voit mon père ? lui demanda-t-il.

— Je vois les guerriers des visages pâles, ils ont déterré la hache de guerre et luttent les uns contre les autres.

— Que voit encore mon père ? reprit le Cerf Noir.

— Je vois des flots de sang qui rougissent le sol, l’odeur de ce sang réjouit mon cœur : c’est celui des visages pâles versé par des frères.

— Mon père voit-il encore quelque chose ?

— Je vois le grand chef des blancs, il combat vaillamment à la tête de ses soldats ; il est entouré, il combat toujours, il va tomber, il est vaincu ! ses ennemis s’en emparent !

Les Ulmènes assistaient, épouvantés, à cette scène qui pour eux était incompréhensible.

Un sourire de dédain plissa les lèvres du Cerf Noir, il continua :

— Mon père entend-il quelque chose ?

— J’entends les cris des mourants qui demandent vengeance contre leurs frères.

— Mon père entend-il autre chose encore ?

— Oui, j’entends les guerriers Aucas morts depuis longtemps, leurs cris me glacent d’effroi.

— Que disent-ils ? s’écrièrent cette fois tous les chefs, en proie à la plus vive anxiété, que disent les guerriers Aucas ?

— Ils disent : Frères, l’heure est arrivée, aux armes ! aux armes !

— Aux armes ! s’écrièrent les chefs tout d’une voix, aux armes ! mort aux visages pâles !

L’élan était donné, l’enthousiasme s’était emparé de tous les cœurs, désormais Antinahuel pouvait à sa guise diriger les passions de cette foule en délire.

Un sourire de satisfaction suprême éclaira son visage hautain, il se redressa.