Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/224

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Le Cerf Noir fit un signe d’assentiment.

— Je remets à mon fils, continua le chef, la hache de pierre, signe de ma dignité ; le Cerf Noir est une partie de mon âme, son cœur m’est dévoué, je le nomme mon vice-toqui, il me remplacera.

L’Apo-Ulmen s’inclina respectueusement devant Antinahuel et lui baisa la main.

— Ce que mon père ordonnera sera exécuté sur l’heure, dit-il.

— Les chefs ont le caractère altier, leur courage est bouillant, mon fils ne leur donnera pas le temps de se refroidir ; il en est parmi eux qu’il faut immédiatement compromettre, afin qu’ils ne puissent pas rétrograder plus tard.

— Les noms de ces chefs ? afin que je les garde dans ma mémoire.

— Ce sont les Ulmènes les plus puissants de la nation. Que mon fils se souvienne, ils sont au nombre de huit ; chacun d’eux fera une malocca sur la frontière, afin de prouver aux Chiaplos que les hostilités sont commencées, les quatre principaux d’entre eux se rendront immédiatement à Valdivia pour signifier la déclaration de guerre aux visages pâles.

— Bon.

— Voici les noms des Ulmènes : Manquepan, Tangol, Auchanguer, Qudpal, Colfunguin, Trumau, Guyumil et Pailapan. Mon fils a-t-il bien entendu ces noms ?

— Je les ai entendus.

— Mon fils a compris le sens de mes paroles ? Elles sont entrées dans son cerveau ?

— Les paroles de mon père sont là, dit le Cerf Noir en portant la main à son front, il peut bannir toute inquiétude et voler vers celle qui s’est emparée de son cœur.

— Bon, répondit Antinahuel, mon fils m’aime, il se souviendra ; après deux soleils il me trouvera à la tolderia des Serpents Noirs.

— Le Cerf Noir s’y rendra, accompagné de ses plus vaillants guerriers ; que Pillian guide les pas de son père, et que Epananum — dieu de la guerre — lui donne la réussite.

Venti penni, — adieu, frère, — murmura Antinahuel en prenant congé de son lieutenant.

Le Cerf Noir salua le toqui et se retira.

Dès qu’il fut seul, Antinahuel fit un signe à l’Indien qui lui avait annoncé la nouvelle qui causait son départ.

Pendant la conférence des deux chefs, cet homme s’était tenu immobile à quelques pas, assez loin pour ne rien entendre, mais assez près pour exécuter immédiatement les ordres qu’on lui donnerait.

Il s’approcha.

— Mon fils est fatigué ? lui demanda le toqui.

— Non, mon cheval seul a besoin de repos.

— Bien, on donnera un autre cheval à mon fils, il nous guidera.

Antinahuel, suivi de l’éclaireur, s’avança alors, sans plus de paroles, vers un groupe de cavaliers qui, appuyés sur leurs longues lances, détachaient sinistrement dans la nuit leurs silhouettes noires.