Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/223

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Celui-ci, les yeux fixés sur la terre et plongé dans de sérieuses réflexions, resta longtemps sans s’apercevoir de sa présence.

Enfin il leva les yeux.

Son visage était sombre, son regard semblait lancer des éclairs, un tressaillement nerveux agitait tous ses membres.

— Mon père souffre ? dit le Cerf Noir d’une voix douce et affectueuse.

— Je souffre, répondit le chef.

— Le Guecubu a soufflé sur le cœur de mon père, mais qu’il prenne courage, Pillian le soutiendra.

— Non, répondit Antinahuel : le souffle qui dessèche ma poitrine est un souffle de crainte.

— De crainte ?

— Oui, les Huincas sont puissants, je redoute la force de leurs armes pour mes jeunes hommes.

Le Cerf Noir le considéra avec étonnement.

— Qu’importe la puissance des faces pâles, dit-il, puisque mon père est à la tête des quatre Utal-Mapus ?

— Cette guerre sera terrible, je veux vaincre.

— Mon père vaincra, tous les guerriers n’écoutent-ils pas sa voix ?

— Non, dit tristement Antinahuel, les Ulmènes des Puelches n’assistaient pas au Huinca-coyog.

— C’est vrai ! murmura le Cerf Noir.

— Les Puelches sont les premiers parmi les guerriers Aucas.

— C’est vrai, fit encore le Cerf Noir.

— Je souffre, répéta Antinahuel.

Le Cerf Noir lui posa la main sur l’épaule.

— Mon père, dit-il d’une voix insinuante, est le chef d’une grande nation, rien ne lui est impossible.

— Que veut dire mon fils ?

— La guerre est déclarée ; tandis que nous tenterons des maloccas — invasions — sur le territoire chilien pour tenir les ennemis dans l’inquiétude sur nos projets, que mon père monte avec ses mosotones sur ses coursiers, plus légers que le vent, et qu’il vole sur l’aile de la tempête auprès des Puelches ; sa parole les convaincra, les guerriers abandonneront tout pour le suivre et combattre sous ses ordres ; avec leur secours nous vaincrons les Huincas et le cœur de mon père se gonflera de joie et d’orgueil.

— Mon fils est sage, je suivrai son conseil, répondit le toqui avec un sourire d’une expression indéfinissable ; mais, il l’a dit, la guerre est résolue, les intérêts de ma nation ne doivent pas souffrir de la courte absence que je serai forcé de faire.

— Mon père y pourvoira.

— J’y ai pourvu, dit Antinahuel avec un sourire cauteleux, que mon fils écoute.

— Mes oreilles sont ouvertes pour recueillir les paroles de mon père.

— À l'endit-kà, — lever du soleil, — quand les fumées de l’eau de feu seront dissipées, les chefs demanderont Antinahuel.