Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/229

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coup de poignard ; ce fut en vain qu’elle essaya de se roidir contre l’émotion qu’elle éprouvait, elle se sentit vaincue par cette faible enfant.

Cependant, peu à peu elle parvint à surmonter l’émotion incompréhensible qui l’oppressait ; passant sa main sur son front comme pour en chasser l’idée importune qui la poursuivait, elle se retourna vers Antinahuel.

— Pas de diplomatie entre nous, frère, lui dit-elle, nous nous connaissons trop bien l’un et l’autre pour perdre notre temps à ruser.

— Ma sœur a raison, parlons avec franchise.

— L’histoire du retour dans votre tribu est fort bien trouvée, Antinahuel, mais je n’en crois pas un mot.

— Bon, ma sœur connaît la raison qui m’amène ?

— Je la connais, fit-elle avec un fin sourire qui glissa comme un rayon de soleil entre ses lèvres roses.

Antinahuel ne répondit pas.

Il commença à marcher avec agitation dans le cuarto, parfois il jetait un regard de colère et de dépit du côté de la porte par laquelle doña Rosario était sortie.

La Linda le suivait attentivement d’un œil sournois et railleur.

— Eh bien ! fit-elle au bout d’un instant, mon frère ne parlera-t-il pas ?

— Pourquoi ne parlerais-je pas ? dit-il avec violence. Antinahuel est le chef le plus redouté de sa nation, les plus fiers guerriers courbent sans hésiter leurs fronts orgueilleux devant lui !

— J’attends ! reprit-elle d’une voix calme.

— Un chef s’explique clairement, nul ne lui en impose. Ma sœur connaît ma haine pour le chef des visages pâles, dont elle-même a tant à se plaindre.

— Oui, je sais que cet homme est l’ennemi personnel de mon frère.

— Bon, ma sœur tient entre ses mains la vierge aux yeux d’azur, elle me la donnera pour que je puisse, en la faisant souffrir, me venger de mon ennemi.

— Mon frère est un homme, il ne saura pas bien se venger ; pourquoi lui donnerais-je ma prisonnière ? les femmes seules possèdent le secret de torturer ceux qu’elles haïssent ; que mon frère s’en rapporte à moi, ajouta-t-elle avec un sourire cruel, les tourments que j’inventerai suffiront, je le jure, à assouvir une haine plus profonde que celle qu’il peut ressentir.

Antinahuel, bien que son visage restât impassible, frémit intérieurement à ces paroles odieuses.

— Ma sœur se vante, répondit-il ; sa peau est blanche, son cœur ne sait pas haïr, qu’elle laisse faire le chef indien.

— Non, reprit-elle avec violence, j’ai disposé du sort de cette femme, je ne la donnerai pas à mon frère.

— Ainsi ma sœur oublie ses promesses et fausse ses serments ?

— De quelles promesses et de quels serments parlez-vous, chef ?

— De ceux, répondit l’Indien avec hauteur, que ma sœur a prononcés dans le toldo d’Antinahuel, lorsqu’elle est venue dans sa tribu implorer son secours.

La Linda sourit.