— La femme est un oiseau moqueur, dit-elle, qui fait attention à ses paroles.
— Bon, fit Antinahuel, ma sœur gardera sa prisonnière, que ma sœur fasse sa volonté ; je vais continuer ma route pour me rendre dans ma tribu.
La Linda le regarda avec étonnement ; la facilité avec laquelle Antinahuel renonçait en apparence à ses projets lui paraissait d’autant plus incompréhensible qu’elle savait avec quelle ténacité il poursuivait ses entreprises, quand une fois il croyait avoir une chance de réussite ; elle résolut de savoir positivement à quoi s’en tenir.
Au moment où le chef faisait un pas pour se retirer :
— Mon frère part ? lui dit-elle,
— Je pars, répondit-il.
— A-t-il donc déjà terminé les affaires pour lesquelles le général Bustamente l’avait prié de venir s’entendre avec lui ?
— Le général Bustamente n’a plus besoin d’Antinahuel ni de personne.
— A-t-il donc réussi si vite ?
— Oui, répondit-il avec un accent équivoque.
— Ainsi, s’écria la Linda avec joie, il est maître de la ville, il triomphe, enfin !
Antinahuel sembla hésiter pendant une minute ou deux ; un sourire ironique errait sur ses lèvres.
— Mon frère ne veut-il pas répondre ? reprit la Linda avec une impatience à laquelle se mêlait malgré elle un commencement d’inquiétude.
— Celui que ma sœur nomme le général Bustamente, répondit-il d’une voix brève, n’a plus besoin de personne, je le répète, il est prisonnier.
La Linda bondit comme une lionne blessée.
— Prisonnier ! s’écria-t-elle, oh ! mon frère se trompe !
— Il est prisonnier, avant trois jours il sera mort.
La Linda était frappée de stupeur.
Cette affreuse nouvelle l’atterrait.
— Oh ! murmura-t-elle, malgré Dieu je triompherai.
En proférant ce blasphème, son regard étincelait, ses lèvres frémissaient et ses poings se crispaient avec rage.
— Oh ! je ne veux pas qu’il meure ! s’écria-t-elle.
— Il mourra ! répondit Antinahuel, qui pourrait le sauver ?
— Vous ! chef, dit-elle résolument en lui serrant le bras avec force.
— Pourquoi le ferais-je ? répondit-il avec insouciance ; que m’importe la vie de cet homme, à moi ? les visages pâles ne sont pas mes frères !
— Non, mais sa vie m’est précieuse, à moi, pour ma vengeance ! lui seul peut me livrer mon ennemi ! je veux qu’il vive, vous dis-je !
— Bon, ma sœur le délivrera, alors, puisqu’elle tient tant à le sauver ?
— Vous seul pouvez le faire, chef, si vous le voulez, reprit-elle.
Antinahuel la regarda fixement.
— Qui vous fait supposer que je le voudrai ? dit-il.
— Écoutez, chef, s’écria la Linda avec exaltation, vous aimez cette femme, cette misérable chienne des visages pâles !