Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/232

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Trangoil Lanec était devant lui.

Le visage de l’Ulmen était sombre comme la nuit.

Il semblait en proie à une vive émotion.

— Qu’avez-vous, chef ? lui demanda Valentin effrayé de l’état dans lequel il le voyait, que se passe-t-il, au nom du ciel ! Est-ce donc un nouveau malheur que vous venez m’annoncer ?

— Le malheur veille incessamment auprès de l’homme, répondit sentencieusement le chef, il doit être prêt à le recevoir à toute heure, comme un hôte attendu.

— Parlez, répondit le jeune homme d’une voix ferme, quoi qu’il arrive, je ne faiblirai pas,.

— Bon, mon frère est fort, c’est un grand guerrier, il ne se laissera pas abattre : que mon frère se hâte, il faut partir.

— Partir ! s’écria Valentin avec un tressaillement nerveux, et mon ami ?

— Notre frère Luis nous accompagnera.

— Est-il donc possible de le transporter ?

— Il le faut, dit péremptoirement l’Indien, la hache de guerre est déterrée contre les visages pâles, les chefs aucas ont bu l’eau de feu, le génie du mal est maître de leur cœur, il faut partir avant qu’ils songent à nous ; dans une heure, il serait trop tard.

— Partons donc, répondit tristement le jeune homme, convaincu que Trangoil Lanec en savait plus qu’il ne voulait en dire, et qu’un grand danger les menaçait en effet, puisque le chef qui était un homme d’un courage à toute épreuve avait perdu ce masque d’impassibilité qui n’abandonne jamais les Indiens.

Les préparatifs du départ furent faits en toute hâte et bientôt terminés.

Le hamac dans lequel Louis reposait fut solidement attaché à deux longues traverses en bois et attelé à deux mules, sans que le blessé se réveillât.

La petite troupe se mit en route, en usant des plus grandes précautions.

Ils marchèrent ainsi pendant plus d’une heure, sans échanger une parole ; les feux de campement des Indiens s’effacèrent peu à peu dans l’éloignement, et ils étaient hors de danger, du moins provisoirement.

Valentin s’approcha de Trangoil Lanec qui marchait en tête du convoi.

— Où allons-nous ? lui demanda-t-il.

— À Valdivia, répondit le chef, c’est là seulement que don Luis pourra se rétablir en sûreté.

— Vous avez raison, dit Valentin ; mais nous, resterons-nous donc inactifs ?

— Je ferai ce que voudra mon frère le visage pâle, ne suis-je pas son penni ? où il ira, j’irai, sa volonté sera la mienne.

— Merci, chef, répondit le Français avec émotion, vous êtes un brave et digne cœur.

— Mon frère m’a sauvé la vie, fit l’Ulmen avec simplicité, cette vie n’est plus à moi, elle lui appartient.

Soit que les chefs araucans ne se fussent pas aperçu du départ des étrangers, soit, ce qui est plus probable, qu’ils eussent dédaigné de les poursuivre,