Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’ordonne mon père ? dit-il.

— Mon frère va se rendre en toute hâte à la tolderia que les Huincas nomment Valdivia. Il ira trouver don Tadeo, le Grand Aigle des blancs, et lui rapportera ce qui s’est passé entre nous, en ajoutant que je sauverai la prisonnière ou que je mourrai.

— C’est tout ?

— Oui. Si le Grand Aigle a besoin des services de mon frère, il se mettra sans hésiter à sa disposition. Adieu ! Que Pillian guide mon frère, et qu’il se souvienne que je n’ai pas voulu prendre sa vie qui m’appartenait !

— Joan se souviendra ! répondit l’Indien.

Sur un signe de Curumilla, il se courba dans les hautes herbes, rampa comme un serpent et disparut dans la direction de Valdivia.

Le chef, sans perdre un instant, se mit en selle, piqua des deux et ne tarda pas à rejoindre la petite troupe des ravisseurs qui continuait à cheminer paisiblement, sans se douter de la substitution qui venait de s’opérer.

C’était Curumilla qui, en transportant la jeune fille dans le cuarto de la masure, avait murmuré à son oreille :

— Espoir et courage !

Ces trois mots qui, en l’avertissant qu’un ami veillait sur elle, lui avaient rendu les forces nécessaires pour la lutte qui la menaçait.

Après l’arrivée inopinée de Antinahuel, lorsque, sur l’ordre de doña Maria, Curumilla eut fait sortir la prisonnière, au lieu de la reconduire dans le cuarto où primitivement elle avait attendu, il lui jeta un poncho sur les épaules afin de la déguiser.

— Suivez-moi, lui dit-il à voix basse, marchez hardiment : je vais essayer de vous sauver.

La jeune fille hésita. Elle redoutait un piège.

L’Ulmène la comprit.

— Je suis Curumilla, reprit-il rapidement, un des Ulmènes dévoués aux deux Français amis de don Tadeo.

Doña Rosario tressaillit imperceptiblement.

— Marchez ! répondit-elle d’une voix ferme, quoi qu’il arrive, je vous suivrai !

Ils sortirent de la hutte.

Les Indiens, dispersés çà et là, ne les remarquèrent pas ; ils causaient entre eux des événements de la journée.

Les deux fugitifs marchèrent dix minutes sans échanger un mot.

Bientôt le village se fondit dans l’ombre.

Curumilla s’arrêta.

Deux chevaux sellés et bridés étaient attachés derrière un buisson de cactus.

— Ma sœur se sent-elle assez forte pour monter à cheval et fournir une longue course ? dit-il.

— Pour échapper à mes persécuteurs, répondit-elle d’une voix entrecoupée, je me sens la force de tout faire.

— Bon ! fit Curumilla, ma sœur est courageuse. Son Dieu l’aidera !