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— À cheval, alors ! et partons sans plus tarder, fit doña Maria avec une impatience nerveuse, en se mettant en selle d’un bond.

— À cheval, soit ! répondit le chef.

Ils partirent.

Cette fois ils ne firent pas fausse route ; ils se dirigèrent en droite ligne du côté où s’étaient échappés les prisonniers.

Antinahuel dirigeait la troupe, doña Maria se tenait à ses côtés.

Cependant Curumilla avait rejoint doña Rosario.

— Eh bien ? lui demanda-t-elle d’une voix étranglée par la frayeur.

— Dans peu d’instants nous serons repris, répondit tristement le chef.

— Comment ? ne nous reste-t-il aucun espoir ?

— Aucun ! ils sont plus de cinquante, nous sommes cernés de toutes parts.

— Oh ! que vous ai-je donc fait, mon Dieu, pour que votre main s’appesantisse si lourdement sur moi ?

Curumilla s’était nonchalamment étendu à terre, il avait ôté les armes qu’il portait à sa ceinture, les avait posées près de lui et, avec ce fatalisme stoïque de l’Indien lorsqu’il sait qu’il ne peut échapper au sort qui le menace, il attendait impassible, les bras croisés sur sa poitrine, l’arrivée des ennemis auxquels, malgré tous ses efforts, il n’avait pu soustraire la jeune fille.

On entendait déjà dans l’éloignement résonner sourdement les pas des chevaux qui s’approchaient de plus en plus.

Un quart d’heure encore et tout était fini.

— Que ma sœur se prépare, dit froidement Curumilla, Antinahuel approche.

La jeune fille tressaillit à la voix du chef, elle le regarda avec compassion.

— Pauvre homme, fit-elle, pourquoi avez-vous essayé de me sauver ?

La jeune vierge aux yeux d’azur est l’amie de mes frères pâles, je donnerai ma vie pour elle.

Doña Rosario se leva et s’approcha de l’Ulmen.

— Il ne faut pas que vous mouriez, chef, lui dit-elle de sa voix douce et pénétrante, je ne le veux pas.

— Pourquoi ? je ne crains pas la torture, ma sœur verra comment meurt un chef.

— Écoutez, vous avez entendu les menaces de cette femme, elle me destine à être esclave, ma vie ne court donc aucun danger.

Curumilla fit un geste d’assentiment.

— Mais, continua-t-elle, si vous restez avec moi, si vous êtes pris, on vous tuera ?

— Oui, fit-il froidement.

— Alors, qui apprendra mon sort à mes amis ? Si vous mourez, chef, comment connaîtront-ils le lieu où l’on va me conduire ? comment feront-ils enfin pour me délivrer ?

— C’est vrai, ils ne le pourront pas.

— Il faut donc que vous viviez, chef, si ce n’est pour vous, que ce soit pour moi. Partez, hâtez-vous.

— Ma sœur le veut ?

— Je l’exige.