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L’un d’eux sortit une mèche de la poche de sa veste et battit le briquet en faisant jaillir le plus d’étincelles qu’il pouvait de la pierre.

À ce signal, car c’en était évidemment un, la femme éteignit sa lumière en disant à voix haute, comme se parlant à elle-même :

— Dios proteje á Chile ! — Que Dieu protège le Chili !

— Dios lo ha protegido ! — Dieu l’a protégé ! — répondit l’homme au briquet, en remettant son ustensile dans sa poche.

La femme poussa un cri de joie, étouffé par la prudence.

— Venez ! venez ! dit-elle à demi-voix.

En un instant les deux hommes furent à ses côtés.

— Il vit ? demanda-t-elle avec anxiété.

— Il vit ! répondit un des inconnus.

— Entrez ! au nom du ciel ! reprit-elle.

Les porteurs, guidés par la femme qui avait rallumé sa chandelle, disparurent dans la maison, dont la porte se referma immédiatement sur eux

Toutes les maisons de Santiago se ressemblent quant aux dispositions intérieures ; en décrire une, c’est les décrire toutes.

Une large porte ornée de pilastres conduit au patio, grande cour d’entrée, au fond de laquelle se trouve la pièce principale, qui est ordinairement une salle à manger.

De chaque côté sont des chambres à coucher, des salons de réception et des cabinets de travail.

Derrière ces appartements se trouve la heurta ou jardin, disposé avec goût, orné de fontaines et planté d’orangers, de citronniers, grenadiers, tilleuls, cèdres et palmiers, qui poussent avec une force de végétation incroyable.

Après le jardin vient le corral, vaste enclos destiné aux chevaux et aux voitures.

La maison dans laquelle nous avons introduit le lecteur ne différait des autres que par le luxe princier de son ameublement, qui semblait indiquer que son propriétaire était un personnage important.

Les deux hommes, toujours précédés par la femme qui leur servait de guide, entrèrent dans un petit salon dont les fenêtres donnaient sur le jardin.

Ils déposèrent leur fardeau humain sur un lit de repos et se retirèrent sans prononcer une parole, après s’être inclinés respectueusement.

La femme resta un instant immobile, écoutant le bruit de leurs pas qui s’éloignaient.

Lorsque tout fut rentré dans le silence, elle s’élança d’un bond vers la porte et en poussa les verrous par un geste fébrile ; puis elle revint se placer devant le blessé qui ne donnait plus signe de vie, et attacha sur lui un long et triste regard.

Cette femme, qui avait trente ou trente-cinq ans, en paraissait vingt à peine.

Elle était douée d’une beauté admirable, mais étrange, qui produisait une impression de répulsion instinctive. Malgré la splendeur majestueuse de sa taille svelte et gracieuse, l’élégance de sa démarche, la désinvolture de ses mouvements remplis de volupté et de laisser aller, malgré la pureté des