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chevaux, se dirigèrent vers Santiago la veille du jour où devait avoir lieu l’exécution que nous avons rapportée dans notre précédent chapitre.

Le temps était magnifique. Les rayons d’un ardent soleil tamisaient la poussière et faisaient étinceler les cailloux pailletés d’or de la route.

— Ah ! fit Valentin avec un soupir de satisfaction, dès qu’ils se trouvèrent sur le superbe chemin qui conduit à la capitale du Chili, c’est bon de respirer l’air de la terre, caramba ! comme ils disent ici. Nous y voilà donc enfin dans cette Amérique si vantée ! c’est à présent qu’il faut moissonner l’or !

— Et dona Rosario ? dit son frère de lait d’une voix mélancolique.

— Avant huit jours nous l’aurons retrouvée, répondit Valentin avec un aplomb étourdissant.

Sur ces consolantes paroles, il piqua son cheval, et les deux jeunes gens disparurent dans les détours du chemin.




VI

LA LINDA[1]


La nuit était sombre.

Aucune étoile ne brillait au ciel ; la lune, cachée derrière les nuages, ne répandait qu’une lueur pâle et blafarde qui, lorsqu’elle disparaissait, rendait les ténèbres plus épaisses encore. Les rues étaient désertes : de loin en loin, on entendait résonner les pas furtifs des serenos qui veillaient seuls à cette heure.

Les deux hommes que, sur la Plaza-Mayor, nous avons vus enlever le blessé, marchèrent longtemps chargés de leur étrange fardeau, s’arrêtant au moindre bruit suspect et se cachant dans l’enfoncement d’une porte, ou à l’angle d’une rue, pour laisser passer, sans être découverts, les serenos qui auraient pu leur demander compte de leur présence dans les rues à une heure indue.

Depuis la découverte de la conspiration, ordre était donné qu’à onze heures du soir tous les citoyens fussent rentrés chez eux.

Après des détours sans nombre, les inconnus s’arrêtèrent dans la rue d’El Mercado, l’une des plus retirées et des plus étroites de Santiago.

Au bruit de leurs pas, une porte s’ouvrit.

Une femme, vêtue de blanc, tenant à sa main une chandelle dont elle cachait la lumière avec la paume de la main gauche, parut sur le seuil.

Les deux hommes s’arrêtèrent.

  1. Ce mot, qui n’a pas d’équivalent en français, est dans la langue espagnole la plus haute expression de la beauté physique chez la femme.