Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Cerf-Noir, dès qu’il aperçut le grand toqui araucan, mit son cheval au galop pour le rejoindre ; comme je me doutais que pendant leur conférence ces deux hommes laisseraient échapper des paroles qui plus tard nous serviraient, je me rapprochai d’eux le plus possible, afin de ne pas perdre un mot de ce qu’ils diraient, et voilà comment, sans s’en douter, ils m’ont mis au courant de leurs projets.

— De leurs projets ? demanda vivement don Gregorio, songeraient-ils donc à nous attaquer ?

— La femme pâle a fait jurer à Antinahuel de délivrer son ami, qui est prisonnier.

— Eh bien ?

— Eh bien ! Antinahuel le délivrera.

— Oh ! oh ! fit don Gregorio, ce projet est plus facile à former qu’à exécuter, chef.

— Mon frère se trompe.

— Comment cela ?

— Les soldats sont obligés de traverser le cañon del Rio Seco.

— Sans doute.

— C’est là que Antinahuel attaquera les visages pâles avec ses mosotones.

Sangre de Cristo ! s’écria don Gregorio, que faire ?

— L’escorte sera défaite, observa don Tadeo avec accablement.

Curumilla gardait le silence.

— Peut-être, dit le comte. Je connais le chef, il n’est pas homme à mettre ses amis dans l’embarras sans avoir un moyen de leur faire éviter le péril qu’il leur montre.

— Mais, reprit don Tadeo, ce péril n’est malheureusement que trop imminent ; il n’existe pas d’autre passage que ce défilé maudit, il faut absolument le franchir, et cinq cents hommes résolus peuvent y tenir en échec toute une armée et même la tailler en pièces.

— C’est égal, reprit le jeune homme avec insistance, je répète ce que j’ai dit, le chef est un guerrier habile, son esprit est fertile en ressources, j’affirme qu’il sait comment nous sortir de ce mauvais pas.

Curumilla sourit au Français en lui faisant un signe d’assentiment.

— J’en étais sûr, dit Louis, voyons, parlez, chef, n’est-ce pas que vous connaissez un moyen de nous faire éviter ce passage dangereux ?

— Je ne certifie pas cela, répondit l’Ulmen, mais si mes frères les visages pâles consentent à me laisser agir, je me charge de déjouer les projets de Antinahuel et de ses compagnons, et peut-être du même coup, ajouta-t-il, de délivrer la jeune vierge aux yeux d’azur.

— Parlez ! parlez ! chef, s’écria vivement le comte, expliquez-nous le projet que vous avez formé, ces caballeros s’en rapporteront complètement à vous, n’est-ce pas, messieurs ?

— Oui, répondit don Tadeo, nous vous écoutons, chef.

— Mais, reprit Curumilla, que mes frères y réfléchissent bien, il faut qu’ils me laissent maître absolu de diriger l’expédition.