Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/281

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— Vous avez ma parole, Ulmen, dit don Gregorio, nous ne ferons que ce que vous commanderez.

— Bon ! fit le chef, que mes frères écoutent.

Et alors, sans plus tarder, il leur détailla le plan qu’il avait formé, et qui, comme cela devait être, obtint l’assentiment général.

Don Tadeo et le comte en étaient surtout enthousiasmés, ils se promettaient les plus beaux résultats.

Lorsque les dernières mesures furent prises, que tout fut bien convenu, la nuit était fort avancée, les quatre interlocuteurs avaient besoin de prendre du repos afin de se préparer aux hasards qui les attendaient le lendemain dans leur aventureuse expédition ; Curumilla surtout, qui depuis quelques jours avait pris à peine le temps de dormir, tombait littéralement de fatigue.

Seul, Louis ne semblait pas éprouver le besoin de réparer ses forces ; si on avait voulu l’écouter on se serait mis immédiatement en marche.

Mais la prudence exigeait que quelques heures fussent accordées au sommeil, et malgré les observations du comte on se sépara.

Le jeune homme, contraint malgré lui d’obéir aux remontrances des hommes expérimentés qui l’entouraient, se retira de mauvaise humeur en se promettant in petto de ne pas laisser ses amis oublier l’heure fixée pour le départ.

Comme tous les amoureux, ne pouvant voir celle qu’il aimait, il entraîna avec lui Curumilla afin d’avoir au moins la consolation de parler d’elle.

Mais le pauvre Ulmen était si fatigué que, dès qu’il fut étendu sur la natte qui lui servait de lit, il tomba dans un si profond sommeil que le jeune homme renonça à l’en tirer.

Nous devons ajouter à la louange de Louis qu’il prit assez facilement son parti de cette contrariété, en réfléchissant que de Curumilla dépendait le succès du coup de main qu’ils allaient tenter, et que, pour qu’il fût en possession de toutes ses qualités et les servît bien, il fallait qu’il fût dispos.

Il poussa un soupir de regret et laissa l’Ulmen dormir tant qu’il voulut.

Mais comme il lui était impossible d’en faire autant, que l’impatience et l’amour, ces deux tyrans de la jeunesse, lui brûlaient le cerveau, il monta sur l'azotea — toit — du palais et, le regard fixé sur les hautes montagnes qui dessinaient leurs sombres contours à l’horizon, il se mit à penser à doña Rosario.

Rien n’est pur, calme et voluptueux comme une nuit américaine.

Ce ciel d’un bleu noir, plaqué d’un nombre infini d’étoiles, au milieu desquelles rayonne la splendide croix du Sud, les senteurs embaumées de l’atmosphère rafraîchies par la brise de mer qui y mêle ses acres parfums, tout dispose l’âme à la rêverie.

Louis s’oublia longtemps à penser ainsi, seul, dans la nuit.

Lorsqu’il songea à redescendre dans le palais, les étoiles s’éteignaient successivement dans les profondeurs du ciel, et une teinte nacrée commençait à nuancer légèrement l’horizon.

Le jour n’allait pas tarder à paraître.