Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/292

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forte de cent hommes, s’était massée en arrière-poste, prête, si le besoin l’exigeait, à exécuter une charge et à prendre l’ennemi à revers.

Aussitôt que Curumilla eut fait préparer la manœuvre que nous venons de décrire, il quitta Joan et rejoignit ses compagnons qui l’attendaient au sommet du Corcovado.

— Enfin ! s’écrièrent-ils en le voyant paraître.

— Je commençais à craindre qu’il ne vous fût arrivé malheur, chef, lui dit le comte.

Curumilla sourit.

— Tout est prêt, dit-il, et, quand ils le voudront, les visages pâles pourront pénétrer dans le défilé.

— Croyez-vous que votre plan réussisse ? lui demanda don Tadeo avec inquiétude.

— Je l’espère, répondit l’Indien ; mais Pillian seul peut savoir ce qui arrivera.

— C’est juste. Qu’allons-nous faire, maintenant ?

— Allumer le feu et partir.

— Comment, partir ? et nos amis ?

— Ils n’ont pas besoin de nous ; dès que le feu sera allumé nous nous mettrons à la recherche de la jeune fille.

— Dieu veuille que nous puissions la sauver !

— Pillian est tout-puissant, répondit Curumilla en sortant son mechero de sa ceinture et en battant le briquet.

— Oh ! nous la sauverons, il le faut ! s’écria le jeune homme avec exaltation.

Curumilla, après avoir allumé un peu de chiffon brûlé qui lui servait d’amadou, renfermé dans une boîte de corne, réunit avec ses pieds des feuilles sèches, déposa ce chiffon dessus et souffla de toutes ses forces.

Les feuilles, calcinées à demi par les rayons du soleil, ne tardèrent pas à s’allumer ; Curumilla en jeta d’autres dessus et y ajouta quelques branches de bois mort qui prirent feu presque immédiatement ; le chef plaça alors ces branches sur le bûcher ; le feu, avivé par la bise qui, à cette hauteur, soufflait avec violence, se communiqua rapidement de proche en proche, et bientôt une épaisse colonne de flammes monta en tourbillonnant vers le ciel.

— Bon ! dit Curumilla à ses compagnons qui comme lui regardaient avidement dans la plaine, ils ont vu le signal, nous pouvons partir.

— Partons donc sans plus tarder, s’écria le comte avec impatience.

— Allons, dit don Tadeo.

Les trois hommes s’enfoncèrent dans l’immense forêt vierge qui couvrait le faîte de la montagne, en laissant derrière eux ce phare sinistre, signal de meurtre et de destruction.

Dans la plaine, don Gregorio Peralta, craignant de trop s’avancer avant de savoir positivement à quoi s’en tenir, avait donné l’ordre à sa troupe de s’arrêter.

Il ne se dissimulait pas les dangers de sa position. Il savait qu’il allait avoir à braver un péril immense, il voulait donc mettre toutes les chances