Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possibles de succès de son côté, pour que, s’il succombait dans le combat qu’il était sur le point de livrer, son honneur fût sauf et sa mémoire sans reproche.

— Général, dit-il en s’adressant à Cornejo qui, ainsi que le sénateur, se trouvait auprès de lui, tous êtes un brave homme de guerre, un soldat intrépide, je ne vous cacherai donc pas que nous sommes dans une situation hérissée de périls.

— Oh ! oh ! fit le général en relevant sa moustache et en lançant un regard railleur à don Ramon qui, à cette annonce faite ainsi à brûle-pourpoint, était devenu tout pâle, expliquez-moi donc cela, don Gregorio ?

— Oh ! mon Dieu ! répondit celui-ci, c’est d’une simplicité enfantine : les Indiens sont embusqués en force dans le défilé pour nous en disputer le passage.

— Voyez-vous cela, les gaillards ! mais ils vont nous assommer, alors, fit le général toujours calme.

— C’est un épouvantable guet-apens ! s’écria le sénateur atterré.

— Caspita ! si c’est un guet-apens, reprit le général, je le crois bien ! Du reste, ajouta-t-il avec un sourire narquois, vous serez à même d’en juger tout à l’heure ; vous m’en donnerez des nouvelles après, si, ce qui est peu probable, vous en réchappez, cher ami.

— Mais je ne veux pas aller fourrer ma tête dans cet affreux traquenard, s’écria don Ramon hors de lui de frayeur, je ne suis pas soldat, moi, que diable !

— Bah ! vous vous battrez en amateur, cela sera très beau de votre part, vu que vous n’en avez pas l’habitude.

— Monsieur, dit froidement don Gregorio, tant pis pour vous ! si vous étiez tranquillement resté à Santiago, comme c’était votre devoir, vous ne vous trouveriez pas dans cette alternative.

— C’est vrai, cher ami, appuya en riant le général, pourquoi, vous qui êtes poltron comme un lièvre, vous avisez-vous de faire de la politique militante ?

Le sénateur ne répondit pas à cette dure apostrophe : il était hébété par la peur, déjà il se croyait mort.

— Quoi qu’il arrive, puis-je compter sur vous, général ? reprit don Gregorio.

— Je ne puis vous promettre qu’une chose, répondit noblement le vieux soldat, c’est de ne pas marchander ma vie, et, le cas échéant, de me faire bravement tuer. Quant à ce poltron, ajouta-t-il en désignant don Ramon, ne vous inquiétez pas de lui, je me charge de lui faire accomplir des prodiges de valeur.

À cette menace, le malheureux sénateur sentit une sueur froide inonder tout son corps.

Une longue colonne de flamme brilla au sommet du Corcovado.

— Il n’y a plus à hésiter. Caballeros, s’écria résolument don Gregorio, en avant ! et que Dieu protège le Chili !

— En avant ! répéta le général en dégainant son sabre.

La troupe partit dans la direction du défilé.