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les quatre hommes, n’avait tout au plus qu’un mille dans sa plus grande largeur ; elle ne tardait pas à se rétrécir, et à l’extrémité s’élevaient les contreforts d’une forêt vierge dont le terrain, s’exhaussant peu à peu, finissait au loin par se confondre avec les montagnes.

Les Araucans, marchant toujours serrés, traversèrent la plaine et s’enfoncèrent dans la forêt.

Le général Bustamente avait depuis longtemps déjà disparu.

Les Indiens n’avaient laissé derrière eux que les cadavres de leurs ennemis morts et les corps des chevaux frappés par Louis et ses compagnons, au-dessus desquels les vautours commençaient à tournoyer en poussant leurs cris aigus et bizarres.

La plaine avait repris son apparence tranquille.

— Nous pouvons continuer notre route, dit don Tadeo en se levant.

Curumilla le regarda avec les marques d’un profond étonnement, mais sans lui répondre.

— Pourquoi cette surprise ? chef, reprit don Tadeo ; vous le voyez, la plaine est solitaire, les Araucans et les Chiliens se sont retirés chacun de leur côté ; nous pouvons, je le crois, continuer notre route sans danger.

— Voyons, chef, dit le comte, répondez : vous savez que le temps nous presse, nos amis nous attendent, nous n’avons plus rien à faire ici ; pourquoi y restons-nous ?

L’Indien montra d’un geste la forêt vierge.

— Trop d’yeux cachés, dit-il.

— Vous croyez que nous sommes surveillés ? demanda Louis.

Le chef baissa affirmativement la tête.

— Oui, répliqua-t-il.

— Vous vous trompez, chef, reprit don Tadeo, les Araucans ont été battus, ils ont réussi à protéger la fuite de l’homme qu’ils voulaient sauver, pourquoi s’obstineraient-ils à rester ici, où ils n’ont plus rien à faire ?

— Mon père ne connaît pas les guerriers de ma nation, dit Curumilla avec un suprême accent d’orgueil : ils ne laissent jamais d’ennemis derrière eux quand ils ont l’espoir de les détruire.

— Ce qui signifie ? interrompit don Tadeo avec impatience.

— Que Antinahuel a été blessé par une balle sortie d’un fusil tiré de cette place, et qu’il ne s’éloignera pas sans vengeance.

— Je ne puis admettre cela, notre position est imprenable ; les Araucans sont-ils des aigles, pour voler jusqu’ici ?

— Les guerriers sont prudents, répondit l’Ulmen, ils attendront que les vivres de mes frères soient épuisés, afin de les prendre par la famine.

Don Tadeo fut frappé du raisonnement plein de justesse du chef indien et ne trouva rien à répondre.

— Nous ne pouvons pourtant pas rester ainsi, dit le jeune homme ; j’admets que vous ayez raison, chef, il est alors incontestable que, dans quelques jours, nous tomberons entre les mains de ces démons.

— Oui, fit Curumilla.

— J’avoue, reprit le comte, que cette perspective n’a rien de bien flatteur