Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/318

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pour nous ; il n’existe pas de si mauvaise position dont on ne puisse sortir avec du courage et de l’adresse.

— Mon frère a un moyen ? demanda l’Ulmen.

— Peut-être, je ne sais pas s’il est bon, dans tous les cas le voici : Dans deux heures la nuit sera venue, nous laisserons les ténèbres s’épaissir, puis, quand nous croirons que les Indiens se sont laissés aller au sommeil, nous partirons silencieusement d’ici.

— Les Indiens ne dorment pas, dit froidement Curumilla.

— Au diable, alors ! s’écria énergiquement le comte, dont l’œil fier brilla d’une lueur martiale ; s’il le faut, nous passerons sur leurs cadavres, mais nous nous échapperons.

Si Valentin avait pu voir en ce moment son frère de lait, il aurait été heureux de cette énergie qui, pour la première fois, éclatait en lui. C’est que Louis était amoureux, qu’il voulait revoir celle qu’il aimait, et que l’amour a le privilège d’enfanter des prodiges.

— Eh mais ! fit don Tadeo, ce plan ne me semble pas dépourvu de chances de réussite ; je pense que vers le milieu de la nuit nous pourrons essayer de le mettre à exécution ; si nous échouons, nous aurons toujours la ressource de nous réfugier ici.

— Bon, répondit Curumilla, je ferai ce que désirent mes frères.

Joan n’avait pris aucune part à la discussion ; assis à terre, le dos appuyé contre un quartier de roc, il fumait avec toute la nonchalance de l’Indien, dont aucune préoccupation ne trouble la quiétude naturelle.

Les Araucans sont généralement ainsi : le moment d’agir passé ils trouvent inutile de fatiguer leurs facultés, qu’ils préfèrent garder pour lorsqu’ils ont besoin de s’en servir, et ils se laissent aller à jouir du présent sans songer à se préoccuper de l’avenir, à moins qu’ils ne soient chefs d’une expédition et que la responsabilité d’un succès ou d’un échec ne pèse sur eux ; dans ce cas-là, ils sont au contraire d’une vigilance extrême et ne s’en rapportent qu’à eux seuls pour tout voir et tout préparer.

Depuis le départ de Valdivia le matin, les quatre hommes n’avaient pas eu le temps de manger, l’appétit commençait à les talonner sérieusement ; ils résolurent de profiter du repos que leur laissaient leurs ennemis pour assouvir leur faim.

Les préparatifs du repas ne furent pas longs ; comme ils n’étaient pas certains que les Indiens connussent leur position, et que dans tous les cas il était préférable de les laisser dans le doute et leur donner à supposer qu’ils s’étaient retirés, on n’alluma pas de feu ; le repas se composa seulement de harina tostuda délayée dans de l’eau, chétive nourriture, mais que le besoin fit trouver excellente aux aventuriers.

Nous avons dit qu’ils étaient abondamment fournis de vivres ; en effet, en les économisant, ils en avaient pour plus de quinze jours ; mais l’eau qu’ils possédaient ne se composait que de six outres de peaux de chevreau pleines, environ soixante litres, aussi était-ce surtout la soif qu’ils redoutaient s’ils étaient contraints à soutenir un siège.

Lorsque leur maigre repas fut terminé, ils allumèrent philosophiquement