Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/322

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Cette tente leur servit aussi pour mettre à couvert leurs provisions de guerre et de bouche, que l’eau et le soleil auraient également détériorées.

Ces divers travaux les occupèrent une grande partie de la nuit.

Vers trois heures du matin, comme l’obscurité commençait à se dissiper, que le ciel prenait à l’horizon des teintes d’opale qui précèdent ordinairement dans ces contrées le lever du soleil, Curumilla s’approcha de ses deux compagnons, qui luttaient vainement contre le sommeil et la fatigue qui les accablaient.

— Que mes frères dorment deux heures, leur dit-il, Curumilla veillera.

— Mais vous, chef, lui répondit don Tadeo, vous qui vous êtes si noblement dévoué à notre cause, vous devez avoir au moins autant besoin de repos que nous, dormez ! nous veillerons à votre place.

— Curumilla est un chef, répondit l’Ulmen, il ne dort pas sur le sentier de la guerre.

Les deux hommes connaissaient trop bien leur ami pour lui faire des observations inutiles ; charmés au fond du cœur de ce refus qui leur permettait de reprendre des forces, ils se jetèrent sur les pellones et s’endormirent presque aussitôt.

Lorsque Curumilla fut bien certain que ses compagnons étaient plongés dans le sommeil, il se glissa en rampant le long de la pente des rochers et arriva au pied de la forteresse.

Nous avons dit que la montagne était couverte d’une profusion de hautes herbes ; du milieu de ces herbes, desséchées par les rayons ardents du soleil de l’été, s’élevaient par places des bouquets d’arbres résineux ; Curumilla s’accroupit dans les buissons et prêta l’oreille.

Rien ne troublait le silence.

Tout dormait ou semblait dormir dans la plaine et sur la montagne.

Le chef ôta son poncho, s’étendit sur le sol, de façon à dissimuler le plus possible sa présence, puis il jeta son poncho sur lui et s’en recouvrit. Ce soin pris, il tira son méchero de sa ceinture et battit le briquet sans craindre, grâce à ses minutieuses précautions, que les étincelles qui jaillissaient de la pierre fussent aperçues dans l’obscurité.

Dès qu’il eut du feu il ramassa des feuilles sèches au pied d’un buisson, souffla patiemment pour aviver le feu jusqu’à ce que la fumée eût pris une certaine consistance, puis il s’éloigna en rampant comme il était venu et regagna le sommet des rochers sans avoir donné l’éveil à aucune des nombreuses sentinelles qui, probablement, surveillaient dans l’ombre les mouvements des aventuriers.

Ses compagnons dormaient toujours.

Och ! se dit-il en lui-même avec satisfaction, à présent nous ne craindrons pas que des tirailleurs s’embusquent derrière les arbres au-dessus de nous.

Et il resta les yeux obstinément fixés sur la place qu’il venait de quitter.

Bientôt une lueur rougeâtre perça l’obscurité ; cette lueur grandit peu à peu et se changea en une colonne de flamme qui monta vers le ciel en épais tourbillons et en lançant autour d’elle des milliers d’étincelles. La flamme