Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/342

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hommes, avait tenu un langage si hautain, n’était pas d’humeur à le modifier à présent que la fortune lui souriait si visiblement.

— C’est convenu, cria-t-il à Valentin, et s’adressant aux chefs. Vous le voyez, dit-il, mes compagnons sont de mon avis.

— Que veut donc mon frère ? demanda Antinahuel.

— Oh ! mon Dieu, répondit le jeune homme, m’en aller simplement. Je ne suis pas ambitieux, moi, nous sommes tous de braves gens, pourquoi nous égorgerions-nous sans raisons plausibles ? ce serait ridicule. Vous allez rentrer dans vos retranchements en me donnant votre parole d’honneur de ne pas en sortir avant trois heures ; pendant ce temps-là j’évacuerai avec ma troupe le poste que j’occupe, et je me retirerai avec armes et bagages, sans descendre dans la plaine ; dès que je serai parti, vous lèverez votre camp et vous partirez de votre côté, sans chercher à inquiéter ma retraite. Ces conditions vous conviennent-elles ?

Antinahuel, le Cerf Noir et le général se consultèrent un instant à voix basse.

— Nous acceptons, dit Antinahuel. Mon jeune frère pâle est un grand cœur, lui et ses mosotones sont libres de se retirer où ils voudront.

— Bien, répondit le comte, en serrant la main que lui tendait le toqui, vous êtes un brave guerrier et je vous remercie, chef ! mais j’ai encore une demande à vous adresser.

— Que mon frère s’explique, et si je puis la lui accorder je le ferai, répondit Antinahuel.

— Eh bien ! reprit le jeune homme avec effusion, ne faites pas les choses à demi, chef ; hier vous vous êtes emparé de quelques prisonniers espagnols, rendez-les-moi.

— Ces prisonniers sont libres, dit le toqui avec un sourire contraint, ils ont rejoint déjà leurs frères du rocher.

Louis comprit alors d’où provenait cet accroissement inouï de sa garnison.

— Je n’ai donc plus qu’à me retirer, répondit-il.

— Pardon ! pardon ! s’écria le sénateur, qui n’était pas fâché de profiter de l’occasion pour s’éloigner au plus vite de doña Maria et du général, dont la société ne lui plaisait que fort médiocrement, j’étais au nombre de ces prisonniers, moi !

— C’est juste, observa don Pancho, que décide mon frère ?

— Bon, que cet homme parte, répondit Antinahuel en haussant les épaules.

Don Ramon ne se le fit pas répéter, et suivit le comte avec empressement.

Louis salua courtoisement les chefs et regagna la tour où ses compagnons l’attendaient avec anxiété.

Les préparatifs du départ furent courts.

Le sénateur surtout avait hâte de s’éloigner, tant il redoutait de retomber au pouvoir de ceux auxquels par un miracle il avait échappé.

Si doña Maria et le général Bustamente s’étaient doutés que l’homme qu’ils haïssaient, et contre lequel ils s’étaient ligués, était au nombre de ceux qu’ils avaient si ardemment travaillé à sauver, quel aurait été leur désappointement !