Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/346

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— Aux armes ! commanda Valentin à voix basse, il y a beaucoup de courants d’air par ici, on ne sait pas à qui on peut avoir affaire, il est bon de se tenir sur ses gardes.

En quelques secondes tout le camp fut éveillé, les soldats se préparèrent à bien recevoir l’intrus qui oserait se présenter.

Le bruit se rapprochait de plus en plus, des formes noires commençaient à dessiner leurs contours dans la nuit.

Quién vive ? — qui vive ? — cria la sentinelle.

Chile ! répondit une voix forte.

Qué gente ? — quels gens ? — reprit le soldat.

Gente de paz ! — hommes de paix ! — dit encore la voix, qui ajouta immédiatement : Don Gregorio Peralta.

À ce nom tous les fusils se redressèrent.

— Venez ! venez ! don Gregorio, cria Valentin. Caramba ! soyez le bienvenu parmi vos amis.

— Caspita ! caballeros ! répondit vivement don Gregorio en serrant les mains que de tous côtés lui tendaient ses amis, quel heureux hasard de vous rencontrer aussi vite !

Derrière don Gregorio, une trentaine de cavaliers entrèrent dans le camp.

— Comment, aussi vite ? demanda don Tadeo, vous nous cherchiez donc, cher ami ?

Carai ! si je vous cherchais, don Tadeo ! c’est exprès pour vous que je suis sorti, il y a quelques heures, de Valdivia.

— Je ne vous comprends pas, fit don Tadeo.

Don Gregorio ne parut pas le remarquer, et faisant signe aux Français et à don Tadeo de le suivre, il s’éloigna de quelques pas afin que nul autre que ses trois amis ne pût entendre ce qu’il allait dire.

— Vous m’avez demandé pourquoi je vous cherchais, don Tadeo, reprit-il, je vais vous le dire : aujourd’hui je suis parti, envoyé vers vous par tous les patriotes, nos frères, par tous les Cœurs Sombres du Chili, dont vous êtes le chef et le roi, avec la mission de vous dire ceci quand je vous rencontrerai : Roi des ténèbres, la patrie est en danger ! un homme seul peut la sauver, cet homme, c’est vous ! refuserez-vous de vous sacrifier pour elle ?

Don Tadeo ne répondit pas, son front pâle penchait vers la terre, il semblait en proie à une vive douleur.

— Écoutez les nouvelles que je vous apporte, don Tadeo, continua gravement don Gregorio, le général Bustamente s’est échappé !

— Je le savais ! murmura-t-il faiblement.

— Oui, mais ce que vous ignorez, c’est que ce misérable est parvenu à mettre les Araucans dans ses intérêts ; avant huit jours, une armée formidable de ces féroces guerriers, commandés par Antinahuel en personne et par le général Bustamente, envahira nos frontières, précédée par le meurtre et l’incendie.

— Ces nouvelles… objecta don Tadeo.