Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/345

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conduite de don Ramon, d’autant plus que maintenant il n’y a plus rien à craindre.

— C’est convenu, fit le sénateur ; nous sommes tous bien armés, les quelques lieues qui nous restent à faire n’offrent aucune apparence d’un danger sérieux ; demain, au point du jour, nous nous séparerons de vous, et nous vous laisserons libres de vous occuper de vos affaires, après vous avoir remerciés du service que vous nous avez rendu.

— Maintenant, continua Valentin, je demanderai à nos amis araucans s’ils ont toujours l’intention de nous suivre, ou s’ils préfèrent se retirer dans leur tolderia ?

— Pourquoi mon frère m’adresse-t-il cette question ? répondit Trangoil Lanec, désire-t-il donc notre départ ?

— Je serais désespéré que vous donnassiez cette signification à mes paroles, chef ; au contraire, mon plus ferme désir serait de vous conserver auprès de moi.

— Que mon frère s’explique alors, afin que nous le comprenions.

— C’est ce que je vais faire. Voici longtemps déjà que mes frères ont quitté leur village, ils peuvent avoir le désir de revoir leurs femmes et leurs enfants ; d’un autre côté, le hasard nous oblige à combattre justement leurs compatriotes, je comprends fort bien la répugnance que, dans de telles circonstances, doivent éprouver mes frères ; mon intention, en leur faisant ma question, a donc été simplement de les délier de toute obligation envers nous, et de les laisser libres d’agir comme leur cœur les poussera à le faire.

Trangoil Lanec reprit la parole.

— Mon frère a bien parlé, dit-il, c’est une âme loyale ; dans ses discours son cœur est toujours sur ses lèvres, aussi sa voix résonne-t-elle à mon oreille comme le chant du maw kawis, je suis heureux quand je l’entends. Trangoil Lanec est un des chefs de sa nation, il est sage, ce qu’il fait est bien. Antinahuel n’est pas son ami, Trangoil Lanec suivra son frère le visage pâle partout où il voudra aller ; j’ai dit.

— Merci, chef, je comptais sur votre réponse ; cependant mon honneur m’ordonnait de vous adresser ma question.

— Bon, fit Curumilla, mon frère ne reviendra plus sur ce sujet à présent.

— Ma foi non, dit gaiement Valentin, je suis heureux d’avoir aussi bien terminé cette affaire qui, je l’avoue, me taquinait intérieurement beaucoup ; maintenant je crois que nous ne ferons pas mal de dormir.

Tous se levèrent.

Tout à coup César, qui était tranquillement accroupi devant le feu, se mit à hurler avec fureur.

— Allons, bien ! fit Valentin, que va-t-il encore arriver ?

Chacun tendit l’oreille avec inquiétude, en cherchant ses armes par un mouvement instinctif.

Un bruit assez fort, qui croissait rapidement, se faisait entendre à courte distance.