Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/364

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respectueusement inclinés, malgré la pluie et le vent, attendant avec anxiété que celui qu’ils aimaient comme un père revînt à la vie.

Une heure s’écoula ainsi.

Un siècle pendant lequel on n’entendit pas un murmure, pas une plainte.

Don Gregorio, penché sur son ami, suivait d’un regard avide les progrès de la crise, à la lueur d’une torche dont la flamme vacillante donnait à cette scène une apparence fantastique.

Peu à peu le tremblement convulsif qui agitait le corps du malade se calma, il tomba dans une immobilité complète.

Alors don Gregorio déchira la manche de don Tadeo, mit à nu le bras droit, tira son poignard et piqua la veine.

Le sang ne jaillit pas d’abord.

Cependant, après quelques secondes, une tache noire, grosse comme une tête d’épingle, apparut à la lèvre de la blessure, elle augmenta progressivement et tomba enfin, chassée par une seconde, et au bout de deux minutes un long jet de sang noir et écumeux s’élança de la plaie.

Tous, la tête penchée en avant, épiaient attentivement les progrès de la cure tentée par don Gregorio.

Un assez long espace de temps se passa ainsi.

Le sang coulait toujours, avec une force qui augmentait de seconde en seconde.

Don Tadeo ne donnait pas encore signe de vie.

Enfin il fit un mouvement, ses dents, qui jusqu’alors étaient restées serrées, laissèrent passer un soupir.

Le sang avait perdu cette couleur bitumineuse qu’il avait d’abord et devenait vermeil.

Don Tadeo ouvrit les yeux, et promena autour de lui un regard calme et étonné.

— Où suis-je ? murmura-t-il faiblement, que s’est-il passé ?

— Grâce à Dieu ! vous en voilà quitte, cher ami, répondit don Gregorio, en plaçant le pouce sur la blessure et lui bandant le bras avec son mouchoir de poche déchiré en lanières ; quelle peur vous nous avez faite, cher ami !

Don Tadeo s’assit et passa sa main sur son front moite de sueur.

— Mais que signifie cela ? reprit-il d’une voix plus ferme, dites-moi, don Gregorio, qu’est-il arrivé ?

— Ma foi, c’est ma faute, répondit celui-ci, heureusement que nous en sommes quittes pour la peur, cela m’apprendra une autre fois à choisir moi-même mes chevaux et à ne pas m’en rapporter à un péon.

— Expliquez-vous, mon ami, je ne vous comprends pas, je suis brisé.

— On le serait à moins ! figurez-vous que vous avez fait une horrible chute.

— Ah ! fit don Tadeo qui cherchait à rassembler ses idées, vous croyez ?

Caspita ! si je le crois ! demandez à ces caballeros. C’est-à-dire que nous vous avons cru mort ! c’est un miracle qui vous a sauvé : évidemment Dieu a voulu conserver celui dont dépend le salut de notre patrie !

— C’est singulier ! Je ne me rappelle rien de ce que vous me dites ; lorsque