Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/365

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nous avons quitté nos amis, nous cheminions tranquillement, tout à coup l’orage a éclaté…

— C’est cela ! Vous vous rappelez parfaitement, au contraire : votre cheval, ébloui par un éclair, s’est effrayé, il s’est emporté, nous nous sommes lancés sur vos traces, mais en vain ; lorsque nous sommes arrivés près de vous, vous gisiez sans connaissance dans un ravin, au fond duquel vous aviez roulé avec votre cheval.

— Ce que vous me dites doit être vrai, en effet, car je suis rompu, je sens une fatigue inouïe par tout le corps.

— C’est cela ; mais, je vous le répète, heureusement vous n’êtes pas blessé ; seulement, comme vous tardiez à reprendre connaissance, j’ai cru devoir vous saigner avec mon poignard.

— Je vous remercie, cette saignée m’a fait du bien, ma tête n’est pas aussi brûlante, mes idées sont plus calmes. Merci, mon ami, ajouta-t-il en lui prenant la main et en lui jetant un regard d’une expression indéfinissable, maintenant je me sens tout à fait bien ; nous pouvons, si vous le jugez à propos, continuer notre voyage.

Don Grregorio vit que son ami n’était qu’à moitié dupe du mensonge qu’il avait inventé, mais il n’eut pas l’air de le comprendre.

— Peut-être n’êtes-vous pas assez fort encore pour vous tenir à cheval ? lui dit-il.

— Si, je vous assure que mes forces sont complètement revenues ; d’ailleurs, le temps presse, il nous faut arriver à Valdivia.

En disant ces mots, don Tadeo se leva et demanda son cheval.

Un soldat le tenait par la bride.

Don Tadeo le considéra attentivement.

Le pauvre animal était dégoûtant, il avait été littéralement roulé dans la boue.

Don Tadeo fronça le sourcil, il ne comprenait plus.

Don Gregorio riait sous cape : c’était par son ordre que, pour dérouter son ami, le cheval avait été mis en cet état.

Il ne voulut pas que don Tadeo pût soupçonner jamais qu’il avait été, pendant deux heures, sous le coup d’un délire affreux.

Il y réussit parfaitement.

Don Tadeo, contraint de se rendre à l’évidence, secoua tristement la tête et se mit en selle.

— Je me demande, en voyant cette pauvre bête, comment nous ne nous sommes pas tués tous deux, dit-il.

— N’est-ce pas ? répondit don Gregorio d’un ton de conviction très bien joué, c’est incompréhensible ! aucun de nous n’a pu s’en rendre compte.

— Sommes-nous loin de la ville ?

— Une lieue au plus.

— Hâtons-nous, alors.

La troupe repartit au galop.

Cette fois, don Tadeo et son ami marchaient côte à côte et parlaient entre eux à voix basse des moyens à prendre pour déjouer les tentatives du général