Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans deux jours, au plus tard, il faut que les troupes se mettent en marche et franchissent la frontière araucanienne ; je compte sur votre concours, de vous dépend le salut de la Patrie ; allez, Messieurs, et recevez mes remerciements pour les preuves de patriotisme que vous donnez au pays.

Les membres de l’assemblée se retirèrent après avoir une fois encore protesté de leur dévouement.

Don Tadeo et don Gregorio restèrent seuls.

Le Roi des Ténèbres semblait transfiguré.

Une ardeur martiale rayonnait dans ses regards.

Don Gregorio le regardait avec étonnement et respect.

Enfin don Tadéo s’arrêta devant lui.

— Frère, lui dit-il, cette fois il faut vaincre ou mourir. Tu seras près de moi à l’heure de la bataille ; ce commandement que je t’ai donné est indigne de toi, tu le quitteras à quelques lieues d’ici : c’est à mes côtés que tu dois combattre.

— Merci, fit don Gregorio avec émotion, merci !

— Ce tyran contre lequel nous allons nous mesurer une fois encore, il faut qu’il meure !

— Il mourra.

— Parmi les Cœurs Sombres, tu choisiras dix hommes résolus qui s’acharneront spécialement à sa poursuite ; toi et moi nous les guiderons. Tant que Bustamente vivra, la Patrie sera en péril : il faut en finir.

— Comptez sur moi ; mais pourquoi vous exposez-vous, vous dont la vie nous est si précieuse ?

— Oh ! répondit don Tadeo avec enthousiasme, qu’importe ma vie ? pourvu que la liberté triomphe et que l’homme qui prétend nous livrer aux barbares succombe ! Une seule bataille doit être livrée ; si nous sommes obligés de faire la guerre de partisans, nous sommes perdus.

— C’est vrai.

— Le Chili n’est qu’une étroite langue de terre resserrée entre la mer et les montagnes, ce qui rend impossible une longue guerre de partisans ; il nous faut donc vaincre du premier coup, sinon notre ennemi, après nous avoir passé sur le ventre, entrera sans coup férir à Santiago qui lui ouvrira ses portes.

— Oui, observa don Gregorio, vous avez bien jugé la position.

— Voilà pourquoi je n’hésiterai pas à faire, si cela est nécessaire, le sacrifice de ma vie pour empêcher un aussi grand malheur.

— Nous sommes tous dans la même intention.

— Je le sais. Ah ! j’oubliais : envoyez de suite un exprès au gouverneur de la province de Concepcion, afin qu’il se tienne sur ses gardes.

— Je vais le faire.

— Eh ! mais, j’y songe, nous avons sous la main l’exprès dont nous avons besoin.

— De qui voulez-vous parler ?

— De don Ramon Sandias.

— Hum ! fit don Gregorio en hochant la tête, c’est un assez triste personnage et je crains bien…