Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/384

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Et elle la repoussa durement.

Mais la jeune fille, cramponnée à sa robe, la suivait en se traînant sur les genoux.

— Madame ! au nom de ce que vous avez aimé sur la terre, pitié ! pitié !

— Je n’aime plus rien que la vengeance ! Oh ! fit-elle avec un sourire hideux, c’est bon de haïr, on oublie sa douleur ! les larmes de cette misérable enfant me font du bien !

Doña Rosario n’entendait pas ces affreuses paroles ; en proie au plus violent désespoir, elle continuait à pleurer et à supplier.

Seulement, le mot enfant frappa son oreille ; une lueur se fit dans son cerveau.

— Oh ! madame ! s’écria-t-elle ; oh ! je savais bien que vous étiez bonne et que je parviendrais à vous attendrir ! oh ! Dieu a eu pitié de moi !

— Que veut dire cette folle ? fit la Linda.

— Madame ! reprit doña Rosario, vous avez eu des enfants ! vous les avez aimés ! oh ! bien aimés ! j’en suis sûre !

— Silence ! malheureuse ! s’écria la Linda ; silence ! ne me parle pas de ma fille !

— Oui ! continua doña Rosario ; c’est cela, c’était une douce et charmante créature ! oh ! vous l’adoriez ! madame !

— Si j’adorais ma fille !  !… s’écria la Linda avec un rugissement de hyène.

— Eh bien ! au nom de cette fille chérie, pitié ! pitié ! madame !

La Linda éclata subitement d’un rire frénétique et se pencha sur la jeune fille, en fixant sur elle des yeux flamboyants,

— Misérable s’écria-t-elle d’une voix saccadée par la rage ; quel souvenir viens-tu d’évoquer ! Mais c’est pour venger ma fille, ma fille qui m’a été dérobée que je veux faire de toi la plus infortunée de toutes les créatures, c’est afin de la venger que je t’ai vendue à Antinahuel !

Doña Rosario resta un instant comme frappée de la foudre ; cependant peu à peu elle revint à elle, se redressa lentement et, regardant bien en face la courtisane qui triomphait :

— Madame, lui dit-elle, vous n’avez pas de cœur, soyez maudite !… Dieu vous punira cruellement !… Quant à moi, je saurai me soustraire aux outrages dont vous me menacez vainement.

Et, d’un geste rapide comme la pensée, elle arracha de la ceinture de la Linda une dague effilée et aiguë, que celle-ci y portait constamment depuis qu’elle vivait avec les Indiens.

La Linda se précipita vers elle.

— Arrêtez, madame, lui dit résolument la jeune fille ; un pas de plus et je me frappe ! Oh ! je ne vous crains plus maintenant, je suis maîtresse de ma vie ! Je vous le disais bien que Dieu ne m’abandonnerait pas !

Le regard de la jeune fille était si ferme, sa contenance si déterminée, que la Linda s’arrêta malgré elle.

— Eh bien ! reprit doña Rosario avec un sourire de mépris, vous ne triomphez plus à présent, vous n’êtes plus aussi certaine de votre vengeance ! Que