Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/441

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En ce moment une main se posa sur son épaule.

Il se retourna.

Le visage hideux et grimaçant de la Linda se pencha à son oreille :

— Aie l’air de céder, murmura-t-elle à voix basse ; je te promets de te la livrer cette nuit sans défense.

Antinahuel la regarda d’un œil soupçonneux.

La courtisane souriait.

— Tu me le promets ? dit-il d’une voix rauque.

— Sur mon salut éternel ! répondit-elle.

Cependant doña Rosario, l’arme haute et le corps penché en avant, attendait le dénoûment de cette scène effroyable.

Avec une facilité que les Indiens possèdent seuls, Antinahuel avait composé son visage et entièrement changé l’expression de sa physionomie.

Il lâcha le bord du vêtement que jusque-là il avait tenu, et fit quelques pas en arrière.

— Que ma sœur me pardonne, dit-il d’une voix douce ; j’étais fou : on ne doit rien exiger des femmes par la force. La raison est rentrée dans mon esprit ; que ma sœur se calme, elle est en sûreté maintenant, je me retire, je ne reparaîtrai en sa présence que sur son ordre exprès.

Après avoir salué la jeune fille qui ne savait à quoi attribuer sa délivrance, il sortit du toldo.

Dès qu’elle fut seule, doña Rosario se laissa tomber épuisée sur le sol et fondit en larmes.

Cependant Antinahuel avait résolu de lever son camp et de s’éloigner, certain que s’ils perdaient sa trace, les Chiliens n’oseraient massacrer leurs otages et leurs prisonniers dans la crainte de causer la mort de don Tadeo.

Ce projet était bon, le chef le mit de suite à exécution avec une adresse telle que les Chiliens ne se doutèrent pas du départ des Araucans.

Un peu en avant du convoi, la Linda et doña Rosario marchaient sous la garde de quelques mosotones.

La jeune fille, brisée par les émotions terribles qu’elle avait éprouvées, ne se tenait que difficilement à cheval ; une fièvre intense s’était emparée d’elle, ses dents claquaient avec force, et elle jetait autour d’elle des regards empreints de folie.

— J’ai soif ! murmura-t-elle d’une voix presque inarticulée.

Sur un signe de la Linda, un des mosotones s’approcha, et détachant une gourde qu’il portait pendue au côté :

— Que ma sœur boive, dit-il.

L’enfant s’empara de la gourde, la colla à ses lèvres et but à longs traits.

La Linda fixait les yeux sur elle avec une expression étrange.

— Bon, dit-elle sourdement.

— Merci, murmura doña Rosario en rendant la gourde presque vide.

Cependant peu à peu ses yeux s’alourdirent, un engourdissement général s’empara d’elle et elle tomba en arrière en murmurant d’une voix éteinte :

— Mon Dieu ! que se passe-t-il donc en moi ? je crois que je vais mourir !