Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/442

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Un mosotone la reçut dans ses bras et la plaça sur le devant de sa selle.

Tout à coup la jeune fille se redressa comme frappée d’une commotion électrique, ouvrit un œil sans regard et s’écria d’une voix déchirante :

— À mon secours !

Elle retomba.

À ce cri d’appel suprême poussé par la jeune fille, la Linda sentit malgré elle son cœur défaillir, elle eut un instant de vertige ; mais se remettant presque aussitôt :

— Je suis folle, dit-elle avec un sourire.

Elle fit signe au mosotone qui portait doña Rosario de s’approcher et l’examina attentivement.

— — Elle dort, murmura-t-elle avec une expression de haine satisfaite ; quand elle se réveillera, je serai vengée.

En ce moment la position de Antinahuel était assez critique : trop faible pour rien entreprendre contre les Chiliens qu’il voulait contraindre à lui accorder une paix avantageuse pour son pays, il cherchait à gagner du temps en parcourant la frontière de façon à ce que ses ennemis, ne sachant où le trouver, ne pussent lui imposer des conditions qu’il ne voulait pas accepter. Bien que les Aucas répondissent à l’appel de ses émissaires et se levassent avec empressement pour venir grossir ses rangs, il fallait donner aux tribus, la plupart fort éloignées, le temps de se concentrer sur le point qu’il leur avait indiqué.

De leur côté, les Espagnols, dont la tranquillité intérieure était désormais assurée grâce à la mort du général Bustamente, ne se souciaient que fort médiocrement de continuer une guerre qui n’avait plus d’intérêt pour eux. Ils avaient besoin de la paix afin de réparer les maux causés par la guerre civile ; aussi se bornaient-ils à garnir leurs frontières et cherchaient-ils, par tous les moyens, à amener des conférences sérieuses avec les principaux chefs araucans.

Don Gregorio Peralta avait été blâmé de la menace qu’il avait faite à Antinahuel, lui-même avait reconnu la folie de sa conduite en apprenant le départ du toqui avec son prisonnier.

Un autre système avait donc été adopté. On avait seulement gardé en otage dix des principaux chefs, les autres, bien endoctrinés et chargés de présents, avaient été rendus à la liberté.

Tout portait à croire que ces chefs, de retour dans leurs tribus respectives, emploieraient leur influence pour conclure la paix et démasquer devant le conseil les menées de Antinahuel, menées qui avaient mis la nation à deux doigts de sa perte.

Les Araucans sont passionnés pour la liberté, pour eux toute considération cède devant celle-là : être libre !

Aussi était-il facile de prévoir que les Aucas, malgré leur profonde vénération pour leur toqui, n’hésiteraient pas à le déposer, lorsque leurs chefs d’une part et les capitaines d’amis — capitanes de amigos — de l’autre, leur feraient comprendre que cette liberté était compromise et qu’ils s’exposaient à en être privés pour toujours, à tomber sous le joug espagnol, s’ils continuaient leur politique agressive.